La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Didier Bezace

Didier Bezace - Critique sortie Théâtre
Crédit : Brigitte Enguérand Légende : Didier Bezace

Publié le 10 février 2010

Les mouvements du cœur et de l’âme

Après avoir interprété, en 1993, le personnage de Dubois dans une version des Fausses Confidences signée Christian Rist, Didier Bezace met aujourd’hui lui-même en scène cette pièce de Marivaux. Une pièce à laquelle le directeur du Théâtre de la Commune souhaite conférer la féérie, la joie et la sensualité d’un conte amoureux.

Quelle place Marivaux occupe-t-il, de votre point de vue, au sein du répertoire théâtral français ?
Didier Bezace : Une place, je crois, tout à fait spécifique, de par les mécanismes dramaturgiques et l’univers unique qui caractérisent son œuvre. Plus que tout autre auteur du XVIIIème siècle, Marivaux est le dramaturge des mouvements du cœur et de l’âme, de la naissance à soi-même, de la prise de conscience de ses propres désirs et de leur possible épanouissement. Marivaux est un grand humaniste. Il a porté un regard à la fois d’une grande tendresse et d’une grande ironie sur les gesticulations intimes et amoureuses de l’être humain.
 
Vous abordez assez rarement les pièces classiques. Pourquoi, aujourd’hui, avez-vous décidé de mettre en scène une œuvre de Marivaux ?
D. B. : Pour diverses raisons. Tout d’abord, parce que j’ai une immense admiration pour Marivaux qui, comme Molière dont j’ai mis en scène L’Ecole des Femmes, est l’un de nos plus grands auteurs. Et puis, au moment où j’ai commencé à réfléchir à ce spectacle, je trouvais que l’on ne montait pas assez souvent ses pièces, en tout cas, moins souvent que celles de dramaturges comme Tchekhov ou Shakespeare. Ainsi, j’ai voulu combler ce qui me semblait être un manque. Ce manque a en partie disparu puisque, depuis quelques saisons, on constate un certain regain d’intérêt pour Marivaux sur les scènes françaises.
 
« Marivaux a porté un regard à la fois d’une grande tendresse et d’une grande ironie sur les gesticulations intimes et amoureuses de l’être humain. »
 
Pour quelles raisons, parmi les nombreuses pièces de cet auteur, avez-vous choisi de vous diriger vers Les Fausses Confidences ?
D. B. : Au-delà même de l’intérêt de cette pièce, Les Fausses Confidences est une œuvre dont la distribution a permis, au sein d’une saison 2009-2010 intitulée Compagnons, de réunir des comédiennes et des comédiens ayant déjà travaillé au Théâtre de la Commune dans d’autres projets – Pierre Arditi, Alexandre Aubry, Christian Bouillette, Jean-Yves Chatelais, Anouk Grinberg, Robert Plagnol, Isabelle Sadoyan et Marie Vialle. D’une certaine façon, la nature profonde du théâtre demande de montrer au public les différentes facettes des acteurs, demande de tisser avec eux une histoire à travers plusieurs souvenirs. Ainsi, sans en avoir les moyens, réunir sur le plateau du Théâtre de La Commune tous ces comédiens est une façon, peut-être pas de constituer une troupe, mais du moins de réunir une forme de famille. Avec cette famille, je vais essayer de créer un spectacle joyeux et rassembleur.
 
Comment appréhendez-vous la langue de Marivaux ?
D. B. : Je crois que dès lors que l’on se situe dans le sens des répliques, dans la pensée de ce qui est dit, on établit un rapport de justesse avec la langue de Marivaux. Tout se passe alors comme si cette langue devenait notre langue : une langue pleine de modernité, de fluidité, d’efficacité, une langue qui dégage quelque chose de concret, de très coupant, de saisissant. Une langue dont les acteurs doivent s’emparer en évacuant toute préoccupation de cohérence psychologique pour se donner entièrement au jeu. Les artifices mis en œuvre dans ce théâtre peuvent en effet très vite aboutir à une forme de coquetterie que l’on a appelé le marivaudage. Lorsqu’on aborde l’œuvre de Marivaux, le premier objectif à mettre en œuvre est d’échapper à cela.
 
Quel univers esthétique avez-vous imaginé pour Les Fausses Confidences ?
D. B. : Sans vouloir faire d’archéologie, je n’ai pas souhaité me priver du plaisir et de la beauté du XVIIIème siècle. Un plaisir et une beauté qui trouvent notamment des échos sur scène à travers des mises en perspectives d’œuvres de Watteau. J’ai élaboré une représentation qui s’appuie sur des possibilités de réalisme conçues comme des citations et non comme un environnement figuratif. On est ainsi dans un théâtre qui donne l’illusion du réel tout en laissant surgir une dimension de féerie. Un théâtre que je voudrais faire sortir du simple jeu intellectuel, de la simple mécanique de l’esprit, pour donner naissance à un conte sensuel et amoureux.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Les Fausses Confidences, de Marivaux ; mise en scène de Didier Bezace. Du 27 février au 2 avril 2010. Les mardis et jeudis à 19h30, les mercredis, vendredis et samedis à 20h30, les dimanches à 16h. Théâtre de la Commune, Centre dramatique national d’Aubervilliers, 2, rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. Réservations au 01 48 33 16 16.

Reprise du 9 au 15 avril 2010 au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, du 20 au 24 avril à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle, du 29 avril au 13 mai au Théâtre des Célestins à Lyon, du 18 au 28 mai à la MC2 de Grenoble, du 2 au 5 juin au Théâtre de la Criée à Marseille.

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