Les pièces manquantes d’Adrien Beal
Premier puzzle théâtral du genre, Les pièces [...]
Après Jackson Pollock (Pollock, 2009) puis Janis Joplin (Pearl, 2013), le metteur en scène Paul Desveaux clôt sa trilogie américaine en créant Diane Self Portrait autour de la figure de Diane Arbus. Une mise en scène épurée et soignée qui peine à restituer l’originalité transgressive de la photographe américaine.
Dans le sillage des deux précédents opus, Paul Desveaux a de nouveau commandé un texte à Fabrice Melquiot, librement inspiré de la vie et l’œuvre de l’artiste, dans le but de faire théâtre du geste créatif même, en association avec la personne qui le fait naître. Cette personne, c’est Diane Arbus, née Nemerov en 1923 dans une famille de commerçants juifs new-yorkais. D’abord photographe de mode aux côtés de son mari Alan Arbus, elle a choisi de s’éloigner des normes et des attentes pour explorer la marge, la différence, l’étrange voire parfois le monstrueux. Soit des modèles rencontrés au hasard des rues de New York, souvent qualifiés de « freaks », qu’elle montre frontalement dans toute leur humanité, autre et troublante. Paul Desveaux ne souhaite pas réaliser un biopic, mais proposer un portrait impressionniste et intimiste avec comme matière principale la photographie. Un portrait qui commence par évoquer la fin tragique de la photographe, lors de son suicide à l’âge de 48 ans dans sa baignoire, puis qui ouvre une foule de questions sur la photographie, le désespoir, l’amour…
Portrait intimiste
Sur un plateau quasi nu à l’univers visuel très épuré et soigné, la pièce convoque les proches de Diane, interprétée par Anne Azoulay entre détermination et fragilité : principalement sa mère Gertrude à la forte personnalité (Catherine Ferran) et son mari Alan (Paul Jeanson), plutôt falot et admiratif de son épouse. Est aussi convoquée une professeure de Diane, la photographe Lisette Model (Catherine Ferran), qui la conseille : « Ne cherchez pas à dire. Laissez dire. » Paul Desveaux a eu la bonne idée de convoquer aussi sur scène Jack Dracula l’homme tatoué (Jean-Luc verna) et Vicki S. le travesti (Marie Colette Newman), deux de ses modèles « magnifiques » avec lesquels elle noue une relation autre qu’utilitaire. Leur présence sur scène est un atout, comme l’est la musique interprétée en direct à la guitare par Michael Felberbaum, composée en collaboration avec Vincent Artaud. Tatoué de pied en cap, Jean-Luc Verna occupe la scène de toute sa présence insolite avec une touche d’humour caustique. Cependant, malgré la précision des dialogues, la mise en scène subtilement orchestrée, la fine interprétation des comédiens, ces échanges successifs peinent à rendre compte de l’originalité transgressive et de l’étrangeté de la démarche artistique de Diane Arbus, peut-être parce que l’ensemble semble relever de l’incarnation mais aussi parfois d’une sorte de commentaire qui aplanit les enjeux. Mentionnés à travers une voix off, l’ancrage américain et tout ce qui constitue l’incroyable effervescence de cette époque sont aussi relativement absents. Pas de cliché de Diane Arbus sur scène. Paul Desveaux a inclus le photographe familier de la scène Christophe Raynaud de Lage dans sa démarche artistique, ainsi que le public lors d’une scène participative qui prend le risque de la banalité. Au présent, le geste artistique ambitieux n’atteint que partiellement son but, mais il invite à redécouvrir une artiste farouchement indépendante : « Les photos parlent ma langue. Elles parlent aussi mon silence ».
Agnès Santi
Du lundi au vendredi à 20h. Tél. : 01 40 31 26 35. Durée : 1h20.
Premier puzzle théâtral du genre, Les pièces [...]