Des robes et ce qu’elles racontent

Entre Matter en 2008 et Matter en 2014, quelle démarche chorégraphique avez-vous développée ?

Julie Nioche : Je développe mes projets au croisement des techniques somatiques (entre autres l’ostéopathie), et d’une démarche chorégraphique. Ma recherche se fonde sur la façon dont se construisent les corps et l’imaginaire, et quels mouvements cela met en place. J’aime beaucoup faire des projets pour la scène, avec des constructions scénographiques assez importantes, des environnements qui sont comme des dispositifs chorégraphiques qui contraignent les corps et développent aussi l’imaginaire, dans une mise en éveil du regard du spectateur, mettant en jeu le hasard, l’inattendu. Je crée également des performances inspirées des projets pour la scène, dans l’espace public, et avec des non danseurs. C’est important pour moi de toujours tisser des liens entre ma démarche de création, et l’espace social et physique, d’essayer d’y infiltrer ces pratiques de danses autres – je pense aux techniques somatiques.

« Ma recherche se fonde sur la façon dont se construisent les corps et l’imaginaire. »

Quelle est l’histoire de Matter ?

J. N. : Le début de ce projet date d’il y a huit ans, avec un processus de création nomade, puisque j’ai travaillé avec des femmes chorégraphes qui ont en commun la mise en place dans leur propre pays d’un projet autour de la danse contemporaine en lien avec l’espace social, et qui sont très impliquées politiquement. J’ai travaillé avec chacune à Istanbul, à Marrakech, à Oslo et à Malmö, dans leurs lieux de travail, pour voir à quel point le contexte influençait la création. J’ai cherché à partir de leurs histoires de personnes, de femmes et de danseuses, dans un partage assez intime. Nous avons été accompagnées par une designeuse de costumes géorgienne, qui a conçu les costumes en lien avec l’histoire de chacune d’entre nous. D’où l’idée de cette robe blanche en papier qui va disparaître, et qui symbolise aussi tout le travail que chacune a pu faire, abandonnant certaines choses, luttant contre d’autres, pour que l’identité se fasse.

C’est une pièce qui fonctionne beaucoup sur l’image très forte de ces robes diluées jusqu’à la nudité. Comment naviguez-vous entre l’image, l’icône, l’intime ?

J. N. : Justement, on navigue ! Nous sommes aussi imprégnées d’icônes, qui sont fortes, parfois des stéréotypes mais pas seulement, également des histoires culturelles… Nous pouvons être aussi mangées par ça. Ces robes-là représentent tous ces rôles qui nous sont imposés ou que l’on s’impose à soi-même, toutes les images du corps féminin qui peuvent nous tromper, nous dérouter, ou nous dégoûter. Les robes et leurs formes racontent beaucoup en fonction de l’imaginaire de celui qui regarde. Il y a beaucoup de symboles projetables, mais on surfe à travers toutes ces images-là sans tomber dans un stéréotype. La femme n’est pas toujours contrainte ou toujours souffrante, elle est parfois dans une ambiguïté, et c’est cette ambiguïté-là qui m’intéresse.

Propos recueillis par Nathalie Yokel