La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Des arbres à abattre

Des arbres à abattre - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 juin 2012 - N° 199

Claude Duparfait, en collaboration avec Célie Pauthe, adapte et met en scène Des arbres à abattre, roman de Thomas Bernhard, et rend un bel hommage à l’implacable ennemi du genre humain.

Double à peine dissimulé de son auteur, le narrateur des Arbres à abattre est installé dans un immense fauteuil à oreilles, qui semble à la fois le trône de sa morgue aristocratique et l’asile protecteur de sa fragilité d’écorché vif. Publié cinq ans avant la mort de Thomas Bernhard, ce roman, qui mêle la fiction et l’autobiographie, apparaît comme un ultime règlement de comptes avec le microcosme artistique viennois, ses sinistres ministres et ses bouffons ridicules. Après avoir enterré le matin même leur vieille amie Joana, qui a choisi le suicide comme ultime retrait, les amis d’hier se retrouvent pour un dîner donné par les époux Auersberger en l’honneur d’un vieux comédien du Burgtheater. Mais, trente ans après avoir rompu avec cette intelligentsia dont ses yeux décillés ne voient plus que les travers, le narrateur, amer, désespéré et cynique, observe avec horreur ceux qu’il a jadis admirés et aimés. Seul le récit assure la stabilité d’un entendement au bord du gouffre et console une solitude douloureuse. La ratiocination s’accroche aux répétitions de l’invective, comme pour ne pas définitivement sombrer dans l’absurde.

La répétition comme abîme du désespoir

Au fond aussi détestable que ceux qu’il déteste, le narrateur est drôle, évidemment, pour qui se plaît aux sarcasmes vipérins et aux effets du vitriol déversé sur les plaies du genre humain. Pusillanime et irrité par lui-même autant que par les autres, il fustige ses anciens compagnons sans s’épargner lui-même, avouant ses lâchetés et son propre échec : « je hais Vienne mais je suis quand même forcé de l’aimer, (…) cette ville est quand même ma ville et elle sera toujours ma ville, et ces gens sont mes gens et seront toujours mes gens ». Claude Duparfait excelle à interpréter la logorrhée hypnotique de ce misanthrope touchant, entre Alceste vitupérant depuis son désert et Jean-Jacques sanglotant sur son île. Son long monologue, qui constitue la première partie du spectacle, est suivi d’une deuxième partie qui rejoue la soirée détestable à laquelle on a l’impression d’être contraint d’assister, tout comme le narrateur prisonnier de son fauteuil à oreilles. Cette habile répétition accentue efficacement l’effet désespérant de l’ensemble, et les gloires dérisoires de ce petit monde pitoyable apparaissent dans toute leur infatuation grotesque. Reste alors au spectateur à retourner dans le monde, si son regard ainsi déniaisé en supporte encore le spectacle.

 

Catherine Robert


Du 17 mai au 15 juin 2012. Du mercredi au samedi à 21h ; mardi à 20h ; dimanche à 16h. La Colline – Théâtre national, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée : 2h10.

A propos de l'événement



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