La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Dementia Tremens d’après Stanislaw Witkiewicz, mise en scène d’Elizabeth Czerczuk

Dementia Tremens d’après Stanislaw Witkiewicz, mise en scène d’Elizabeth Czerczuk - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Elizabeth Czerczuk
Dementia Praecox 2.0 d’Elizabeth Czerczuk. © DR

Reprise/d’après Stanislaw Witkiewicz / mes Elizabeth Czerczuk

Publié le 2 octobre 2020 - N° 287

Elizabeth Czerczuk reprend dans une nouvelle configuration scénique l’une de ses pièces emblématiques. Une immersion dans le monde de la folie d’une inquiétante et inhabituelle beauté.

 

C’est dans une robe blanche aux armatures apparentes, un enfant de tissus bien calé dans les bras, qu’Elizabeth Czerczuk se présente au public rassemblé au bar de son théâtre. Sa démarche tournoyante et son expression étrange, méditative, fait office de signal de ralliement. Le visage assorti à la tenue de la maîtresse de maison, la tête couronnée de bandages et le corps parcouru de spasmes, la vingtaine de danseurs et comédiens de Dementia Praecox 2.0 rejoint la mère-derviche aux longs cheveux blonds. Et entame sans attendre une série de petits rituels qui nous feront traverser une partie du superbe lieu de l’artiste d’origine polonaise, dont les peintures rouges et noires et les allures de cabinet de curiosité gothique s’accordent à la mise des créatures souriantes malgré l’enfermement qu’on devine. Malgré la douleur. Quelque part entre le surréalisme et le burlesque, la compagnie d’Elizabeth Czerczuk reprend son petit manège de vie et de mort là où l’avait laissé son Requiem pour les artistes, première partie d’un triptyque sur le purgatoire qui s’achèvera avec Matka. Après un hommage explicite à ceux qu’elle reconnaît comme ses maîtres – parmi lesquels Tadeusz Kantor, Antonin Artaud Jerzy Grotowski, avec qui elle a travaillé à ses débuts en Pologne –, l’artiste adapte très librement Le Fou et la nonne (1923) de Stanislaw Witkiewicz. Un écrivain, philosophe et peintre assez peu connu en France mais fameux en Pologne, dont l’œuvre théâtrale fut consacrée à la recherche d’une « Forme pure ».

Scènes d’une folie peu ordinaire

Davantage visuelle, physique et musicale – excellents, Thomas Ostrowiecki à la percussion, Anne Darieu au violon et Karine Huet à l’accordéon se joignent au mouvement général – que textuelle, la pièce d’Elizabeth Czerczuk offre une expérience cathartique peu commune. Foisonnante et d’une grande précision. Immersive, mais jamais au détriment du sens, priorité de la comédienne et metteuse en scène qui cultive son entre-deux théâtral depuis son entrée au Conservatoire de Paris en 1991. À travers leurs scènes de folie débridée et tout en contrastes, la nonne rockeuse, le fou verbeux et tous les bizarres personnages de Dementia Tremens composent en effet un miroir de notre temps dans lequel on se mire avec un bonheur mêlé d’effroi. Formés pour moitié environ au Laboratoire d’Expression Théâtrale que dirige Elizabeth Czerczuk au sein de son théâtre, les interprètes de cette fresque hybride n’ont qu’à déployer leur pantomime tressautante pour dire leur rapport au monde. Leur culte du paradoxe et leur méfiance envers l’image, qu’ils prennent visiblement plaisir à malmener lors d’une courte projection de Culture Pub et d’une distribution commentée de journaux. Tendres autant que bagarreurs, les aliénés qui investissent la belle salle transformable de deux cents places de ce théâtre si singulier n’ont guère besoin de beaucoup de mots pour nous en conter beaucoup.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Dementia Tremens
du jeudi 22 octobre 2020 au mardi 22 décembre 2020
Théâtre Elizabeth Czerczuk
20 Rue Marsoulan, 75012 Paris, France

Les jeudis, vendredis et samedis à 20h30. Tel : 01 84 83 08 80. www.theatreelizabethczerczuk.fr

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