La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien / Alain Planès

De l’ombre à la lumière

De l’ombre à la lumière - Critique sortie Classique / Opéra Paris Théâtre des Bouffes du Nord
Le pianiste Alain Planès en récital le 12 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord.

THEATRE DES BOUFFES DU NORD / PIANO

Publié le 20 novembre 2016 - N° 249

Personnalité discrète, solitaire et souvent insaisissable, le pianiste français Alain Planès, ex-disciple de Rudolf Serkin, ex-protégé de Pierre Boulez (qui l’engage à l’Ensemble Intercontemporain où il reste jusqu’en 1981), fait son retour dans la lumière de la scène à la faveur de sa rencontre avec la réalisatrice Solrey. Son documentaire Alain Planès, l’infini turbulent sera présenté en avant-première en première partie du prochain récital parisien du pianiste consacré à Schubert (Impromptus op. 90 n°1, 3 et 2), Chostakovitch (Sonate pour piano n°2, op. 61) et Karlheinz Stockhausen (Klavierstück IX).

Votre prochain récital parisien sera plus qu’un récital…

Alain Planès : Exactement, il y aura d’abord la projection d’un documentaire qui m’est consacré, qui a été réalisé par une amie, une femme remarquable, Dominique Lemonier, qui a pris le surnom de « Solrey ». Ce film répondrait mieux à vos questions à mon sujet que je vais le faire moi-même !

Que représente ce film pour vous ?

A.P. : A partir de l’âge de 3 ans, j’ai été dans le paraître. Ensuite j’ai été dans le disparaître. Et là, grâce à ce film, j’ai accepté de réapparaître ! C’est pour elle que je le fais, sinon je ne l’aurais jamais fait, voilà. Enfant, j’ai été un petit singe savant, un génie comme l’écrivait les médias, exhibé par un « Papa Leopold ». Cela a été très difficile. J’ai été pris dans le tourbillon de l’angoisse préalable des concours, de l’ivresse du moment et de l’« inévitable mélancolie du triomphe » pour citer un ami. Tout ce qui est paraître, paraître en public, faire parler de moi, aura été très conflictuel pour moi et l’est toujours. J’ai d’ailleurs nombre de fois refusé de répondre aux questions idiotes de la plupart des journalistes.

« Ce film m’a permis de revenir au goût de la musique et finalement au plaisir d’être sur scène. »

Vous avez de la méfiance à l’idée de médiatiser votre travail ?

A.P. : Oui, parce qu’on est dans un monde de « mass – merdia » !

Dans votre biographie, sur le site de votre label Harmonia Mundi, on évoque votre « cynisme raffiné »…

A.P. : Le cynisme est le résultat de l’expérience. S’il est raffiné, tant mieux. Cela rejoint mon snobisme, certainement…

Mais aujourd’hui, grâce à ce film, vous semblez heureux

A.P. : Exactement. Enchanté. Moi qui étais dans le disparaître, je ne pouvais pas m’empêcher de le regarder tout le temps. C’est peut-être le signe d’une grande névrose mais alors qui évolue dans l’autre sens ! Avec l’aventure de ce documentaire, j’ai ressenti comme un électrochoc. J’étais totalement inactif, je n’avais plus de concert, et elle m’a permis de repartir sur un projet exclusivement musical. Solrey est aussi une musicienne exceptionnelle. Son film est donc musical et tout à fait hors du commun. Ce n’est pas un documentaire “gnan-gnan“…

Et vous êtes en train de vous réconcilier avec l’idée d’apparaître ?

A.P. : Oui, oui, oui.

La poésie est importante dans votre vie. De quelle manière nourrit-elle votre rapport avec la musique ?

A.P. : C’est une sorte de puits artésien mais je ne peux pas vous dire de quelle façon cela fonctionne. Bien sûr on ne peut pas jouer comme on n’est pas. Pour être un grand interprète, mais je n’ai pas cette prétention, il faut que la musique soit au fond de votre corps de toutes sortes de façons. Quand votre œil voit un sublime tableau, il vous inspire, il vous donne des émotions qu’après vous essayez de retransmettre par la musique. C’est ce que je sais faire… Je ne suis bon qu’à ça du reste.

Vous n’êtes pas obsédé par la musique, alors ?

A.P. : Mais si, tout le temps. Mais je n’ai pas voulu que ma vie soit obsédée par la musique. Je voulais profiter de la vie et me nourrir de la vie.  Et si je n’ai pas fait une « grande carrière » – c’est-à-dire passer ma vie dans des avions, dans des salles de concerts et des hôtels, pour aller vomir la boîte de conserve que vous avez ouverte la veille -, c’est que cela ne m’intéressait pas. Je ne l’ai pas fait, j’ai même tout fait pour l’éviter. Cela a peut-être été une façon de me révolter contre cette enfance volée.

Ce génie que vous aviez dès l’enfance a donc été à la fois un cadeau et un fardeau ?

A.P. : Oui, bien-sûr.

Et vous vous êtes guéri de ça ?

A.P. : Oui, j’ai l’impression de m’en guérir avec l’âge…

Et peut-être grâce ce film ?

A.P. : Oui. Le film m’a stimulé. Parce que nous les artistes, nous sommes soit fous, soit bipolaires, soit neurasthéniques. Ce film m’a permis de revenir au goût de la musique et finalement au plaisir d’être sur scène, d’être un petit singe savant comme quand j’étais gamin…

Vous êtes au début de quelque chose de différent ?

A.P. : Oui, au début de la fin ! (rires). J’ai attendu d’avoir mon âge pour jouer Beethoven, en tous cas les dernières sonates. La première fois que j’ai rencontré l’immense Rudolf Serkin, il m’a demandé : « As-tu joué la sonate Hammerklavier ? ». Je lui ai répondu que non. Il m’a dit : « Tu devrais vraiment la jouer parce que moi je la joue depuis 60 ans et j’ai l’impression de ne toujours pas la comprendre ». J’avais alors 28 ans mais je n’ai pas suivi ses conseils. Par contre, avec la réalisatrice Solrey, nous allons faire un film sur le Romantisme et Beethoven. Cela va m’amener à finalement enregistrer ces sonates de Beethoven sur instruments historiques d’époque, des pianos extraordinaires, en Italie, dans une sublime villa, et en Espagne.

Les enregistrer et… bientôt les jouer sur scène ? On peut donc lancer l’appel aux organisateurs ?

A.P. : Oui !

Propos recueillis par Jean Lukas.

A propos de l'événement

De l’ombre à la lumière
du lundi 12 décembre 2016 au lundi 12 décembre 2016
Théâtre des Bouffes du Nord
37 Boulevard de la Chapelle, 75010 Paris, France

à 20h. Tél. 01 46 07 34 50

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