L’homme qui dormait sous mon lit de Pierre Notte
Pierre Notte invente une dystopie joyeuse qui [...]
Après Ça ira (1) Fin de Louis (2015), Joël Pommerat revient à l’intime de manière magistrale. Au sein de familles où humains et robots coexistent, l’artifice du théâtre se fait miroir saisissant de notre humanité.
Quelle science du théâtre, maîtrisée, subtile, originale, prodigieuse ! Joël Pommerat impressionne, trouble, et interroge profondément, en ouvrant de multiples perspectives, sans jamais suivre une piste établie. Son théâtre développe un art du questionnement, un art de la relation nourri d’une foule de détails révélateurs, éclairant la complexité de la nature humaine. Un théâtre aussi sensible et singulier, éloigné de tout parti pris idéologique, de tout surplomb, de toute simplification, fait un bien fou ! Après Ça ira (1) Fin de Louis (2015), fresque captivante inspirée par la Révolution française, Joël Pommerat revient à l’intime, à la famille, et en particulier au moment transitoire de l’adolescence. Le spectacle est ancré dans un futur plus ou moins proche où les familles s’adjoignent volontiers les services d’un robot, afin d’aider les enfants dans l’apprentissage scolaire, entre autres possibles missions. Un robot, ou plutôt une « personne artificielle », tant elle ressemble à l’humain, y compris dans sa dimension affective. Qu’est-ce que ces compagnons androïdes provoquent et transforment dans les comportements humains ? L’humain se rapproche-t-il parfois de la machine ? La machine s’humanise-t-elle ou semble-t-elle s’humaniser ? Quelles frontières entre fausses relations et vraies relations, entre le vrai et le faux, entre le naturel et l’acquis ? Comment se construisent nos identités, nos regards sur l’autre ? Le théâtre, lieu d’artifice et du mentir-vrai, est sans doute un bon endroit pour poser ces questions sur notre humanité, surtout lorsqu’elles sont si brillamment traduites sur le plateau.
Le sens aigu des mots et des gestes
Une dizaine de brefs récits théâtraux mettent en scène diverses interactions entre adultes, adolescents et robots, lors desquelles la forme, la langue et le jeu s’approprient ces débats métaphysiques de manière géniale, en jouant sur plusieurs tableaux. Si la ressemblance est frappante entre humains et androïdes, il s’avère néanmoins aisé de les différencier : insultes plus vulgaires les unes que les autres pour des ados énervés, langues et gestes mesurés de manière métronomique pour les robots aux perruques soignées, conçus pour se conformer à des règles strictes en évitant tout conflit. A travers cette différenciation, et à travers des relations familiales plutôt mal en point, la pièce met en jeu avec une rare acuité le sens du langage – outil conformiste, caisse de résonance du mal-être de l’humain contemporain, éruption de rage… Miroirs implacables inscrits entre volonté programmée de perfection, d’efficacité, et désordres avérés, les robots révèlent ce qui constitue l’humain, ce qui dysfonctionne, éclairant les assignations des rôles dans notre société en explorant notamment la question du genre. Avec de jeunes garçons et un coach visant à glorifier le masculin, l’un des récits est consacré à la guerre des sexes. Il est frappant de découvrir que les adolescents et robots sont tous interprétés par des comédiennes, plutôt de petite taille. Une chose est sûre, ce sont vraiment des bonhommes, ces filles ! Drôle, bouleversant et saisissant, le geste artistique fait ici sens à la fois par sa forme aboutie, par l’écriture subtile et par le jeu percutant.
Agnès Santi
Tél : 01 60 91 65 65. Spectacle vu au Théâtre Nanterre-Amandiers en janvier 2020. Durée : 1h50.
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