Clara 69

Un cerf empaillé, noble, puissant, particulièrement souverain dans son immobilité… Un espace immaculé dont les différents plans se colorent par intervalles, page vierge sur laquelle l’imaginaire de chacun aura la possibilité de se projeter, se nourrissant des phrases et des silences, des déplacements de Clara 69 au sein de l’espace réinventé de sa cellule, de son psychisme, de son existence… Une jeune femme pieds nus et jeans retroussés, d’une grâce étrange, d’une présence irréductible, jeune captive qui « ne saisit pas forcément le sens profond de ce qu’elle fait » précise Gildas Milin dans les didascalies de sa pièce, mais qui « en saisit, du moins, l’intention » : « effectuer en elle-même et pour elle-même un voyage secret ». Ce voyage secret, accompli par Anne Caillère, est d’un éclat péremptoire. Il mène à un territoire vaste et énigmatique, ralliant en cela « L’autre monde »* que l’écrivain Christian Garcin décrit comme « le lieu de l’accomplissement et de l’impuissance, de la plénitude et de l’enfermement, de l’intime et du lointain », un lieu « immémorial et muet — comme les rêves, comme la mémoire involontaire ».

 

 

L’esprit de Clara 69 serait-il le siège de cette mémoire involontaire ? Suivrait-il le sillon d’un passé tangible ou improbable ? De constructions illusoires ? D’échappées mentales… ? Ne cherchons pas de réponses toutes faites à un objet théâtral d’une telle singularité. Car Clara 69 semble avant tout vouloir laisser libres les voies d’une infinité de possibles, le cheminement intime et personnel de chaque spectateur. Investissant le texte de Gildas Milin à travers une grande diversité d’adresses, conférant à son personnage une profondeur et une complexité impressionnantes, Anne Caillère rejette toute idée de réalisme carcéral pour inventer une représentation non seulement radicalement poétique mais également pleine de délicatesse. « Ça se passe ici, par terre ou contre un lit. / Ici, à Fleury, en quatre-vingt-quinze », indique la jeune femme. Ça se passe ici et là-bas, hier et aujourd’hui, dans les yeux de chacun comme dans les yeux d’Anne Caillère, et dans ceux de Clara 69, ça se passe à l’endroit de l’intériorité, de l’authenticité artistique et de l’exigence théâtrale.

 

Manuel Piolat Soleymat

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* L’autre monde, Editions Verdier

Clara 69 (texte édité par Actes Sud-Papiers), de Gildas Milin ; spectacle conçu et interprété par Anne Caillère ; collaboration artistique de Vincent Dissez et Agathe Rouillier. Du 23 novembre au 21 décembre 2007. Du mardi au samedi à 21h00, le dimanche à 16h00. Théâtre Nanterre-Amandiers, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre. Réservations au 01 46 14 70 00 ou sur www.nanterre-amandiers.com