La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Charles Gonzalès devient… Camille Claudel

Charles Gonzalès devient… Camille Claudel - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Pascal Victor Légende photo : Charles Gonzalès rend son honneur à Camille Claudel.

Publié le 10 juin 2008

Charles Gonzalès s’empare des mots de Camille Claudel et vampirise l’artiste maudite avec un talent dramatique époustouflant. Un voyage palpitant entre les berges du génie et de la folie.

« Tout sort du cerveau diabolique de Rodin qui a voulu m’enfermer dans son ombre. » Est-ce d’avoir vécu trop près du génie de mâles veules et jaloux, l’ombrageux et luxurieux Rodin et Paul le délicat, tout en faux-fuyants diplomatiques et en lâchetés carriéristes, qui empêcha Camille Claudel d’affirmer son formidable talent dans la pierre et la liberté de créer qu’elle réclama en vain pendant trente ans ? Privée de marbre et d’amour, enfermée dans l’enfer de l’asile à Ville Evrard puis à Montdevergues, condamnée à partager le bouillon « dégueulasse » des aliénées, Camille devint folle de l’avoir été décrétée, reléguée dans l’oubli, le froid et la misère qui guettent souvent ceux que leurs ailes de géant empêchent de marcher droit dans le siècle des hommes. Charles Gonzalès a voulu rendre hommage à cette femme hors norme et a choisi d’incarner lui-même son calvaire et sa lente agonie émaillée de suppliques implorantes, de cris de colères, de fureurs blasphématoires, de prières ignorées et d’appels à l’aide méprisés.
 
Etre et ne pas être : formidable illustration du paradoxe du comédien
 
L’art dramatique tient au paradoxal équilibre entre le comédien et le personnage : Charles Gonzalès en a tout compris des principes et en maîtrise parfaitement les effets. L’homme ne joue pas ici à la femme : point de postiches, de singeries ou d’artifices pour tromper l’œil. Charles Gonzalès reste lui-même sous la robe et c’est par cette gageure incroyablement stylisée qu’il parvient à tenir à distance la folie de son personnage, l’aliénation devenant spectacle d’être ainsi saisie dans l’écart hétérosexuel. Ce n’est pas Camille et pourtant c’est elle, c’est son corps meurtri que l’oubli de soi déréalise en une carcasse brinquebalante, c’est son œil glauque qui soudain s’illumine au souvenir de l’art et soudain noircit de son dépit, c’est son visage qui transparaît sous l’épaisseur de la figure virile, c’est sa voix qui renaît des inflexions modulées entre le râle épouvanté et la douceur aimante : l’acteur se fait mystagogue, sorcier, aux limites d’une transe connue seulement des pythies ou des bacchantes. On n’imagine pas plus juste interprétation de la folie ou du génie, ces deux formes douloureuses de la présence de l’autre en soi. Camille Claudel est en Charles Gonzalès comme jamais peut-être elle ne fut en elle-même, respectée et consolée, comme si la distanciation propre à l’interprétation pouvait seule rendre justice au sacrifice de cette femme crucifiée par les hommes, ainsi que le suggère la dernière image, stupéfiante de force, de ce spectacle.
 
Propos recueillis par Catherine Robert


Charles Gonzalès devient… Camille Claudel, d’après les lettres de Camille Claudel ; pièce écrite et interprétée par Charles Gonzalès. A partir du 22 avril. Du mardi au samedi à 19h. Théâtre des Mathurins, 36, rue des Mathurins, 75008 Paris Réservations au 01 42 65 90 00.

A propos de l'événement


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