La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Charles Gonzalès devient Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane

Charles Gonzalès devient Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l’Epée de Bois
Charles Gonzalès en Camille Claudel dans l’enfer de Montdevergues. Crédit photo : Pascal Victor

Théâtre de l’Épée de Bois / textes de Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane / adaptation, mes et jeu Charles Gonzalès

Publié le 22 mars 2015 - N° 230

Charles Gonzalès s’empare des mots de Camille, Thérèse et Sarah et vampirise ces trois folles de génie avec un talent dramatique époustouflant. Une éblouissante leçon d’art dramatique.

Au milieu de la communauté assemblée, dont chaque membre ressent confusément les affres de sa condition, un homme se dresse, et donne à voir aux autres ce que c’est qu’être humain. Charles Gonzalès est ainsi. Avec la fragilité humble et l’orgueil inspiré de ceux dont le métier est de dire aux autres la beauté et les périls de l’existence, l’acteur se fait mystagogue et sorcier, aux limites d’une transe connue seulement des pythies ou des bacchantes. On demeure ébloui et pantois devant un tel miracle. Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane : les trois femmes que le comédien choisit d’incarner, sont hors normes, incandescentes et inspirées. Charles Gonzalès est le servant de cette messe noire et sanglante, où la transcendance s’empare des âmes de Camille, Thérèse et Sarah, jusqu’à les abîmer dans l’exaltation et la démence. Son corps est l’autel de cette cérémonie fascinante, et les trois sœurs de douleur apparaissent en lui.

Magnifique illustration du paradoxe du comédien

Il y a d’abord la vieille Camille, jadis si belle sous les caresses de Rodin. La relégation à Montdevergues l’a transformée en une carcasse brinquebalante, condamnée à partager le bouillon « dégueulasse » des aliénées. Privée d’amour, privée de marbre, elle est devenue repoussante. Charles Gonzalès interprète avec une force poignante sa lente agonie émaillée de suppliques implorantes, de cris de colère, de fureurs blasphématoires, de prières ignorées et d’appels à l’aide méprisés. Passant de la Provence à l’Espagne, Charles Gonzalès devient ensuite Thérèse aux seins d’albâtre, qui reçoit tout de Dieu et en réclame autant au Pape pour bâtir les lieux d’une nouvelle oraison. Apparaît enfin « la petite Sarah » (comme l’appelle tendrement celui qui l’incarne), ravagée par les psychotropes autant que par la psychose, le menton tremblant mais la dégaine insolente. L’art dramatique tient au paradoxal équilibre entre le comédien et le personnage : Charles Gonzalès en a tout compris des principes et en maîtrise parfaitement les effets. L’homme ne joue pas ici à la femme : point de postiches, de singeries ou d’artifices pour tromper l’œil. Charles Gonzalès reste lui-même sous les haillons de Camille ou dans le costume androgyne de Sarah. A l’instar des grands onnagata japonais, il stylise la féminité, transforme son corps dans le jeu et fait oublier son physique, au bénéfice de l’apparition. La prestation est époustouflante et vaut, au-delà de l’hommage rendu à ces trois albatros, comme une exceptionnelle leçon de théâtre.

Catherine Robert

 

A propos de l'événement

Charles Gonzalès devient Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane
du jeudi 26 mars 2015 au dimanche 19 avril 2015
Théâtre de l’Epée de Bois
Route du Champ de Manoeuvres, 75012 Paris, France

. Jeudi et vendredi à 20h ; samedi à 16h et 20h ; dimanche à 16h. Tél. : 01 48 08 39 74. Spectacle vu au Théâtre des Halles, à Avignon. Durée : 3h.

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