Avec « P’tit Jean le Géant », Simon Pitaqaj parle de la guerre et de ses blessures : une pièce magnifique !
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Aux côtés de Bérengère Warluzel, Caroline Proust et Alain Fromager, Charles Berling met en scène et interprète ce huis clos inédit en France du dramaturge suédois Lars Noren, emporté par le Covid en 2021. Plombée de blessures, névroses et trahisons, une avancée vers le pire réglée au cordeau.
Bienvenue en enfer ! Cette pièce dont le titre ironique sera furieusement démenti fait partie des « 14 pièces de mort » écrites entre 1989 et 1995, qui suivent le premier cycle de créations du prolifique auteur, consacré à des drames familiaux et relationnels, à des vécus abîmés, minés par la destruction. Charles Berling la met en scène pour la première fois en France, avant Lost and Found, second volet du diptyque qui sera créé au Théâtre Liberté la saison prochaine, et mettra en scène un couple de parents et ses deux enfants adolescents. On se souvient de la noirceur terrible de À la mémoire d’Anna Politkovskaïa mis en scène par l’auteur, de Kliniken mis en scène par Jean-Louis Martinelli. Dans ce quartet inédit en France une noirceur teintée d’ironie cinglante se distille et éclate au cœur de l’intime. Deux couples d’amis se retrouvent, un soir de première, dans le sillage de la représentation. Alma et Robert (comme De Niro !), qui interprètent les deux rôles principaux, invitent Hedda et Jonas à boire un verre. Ces derniers ont adoré la pièce. Elle est comédienne en quête de rôle depuis plusieurs années, lui est psychologue. Nous sommes immergés dans un intérieur « cozy », quoique dans la scénographie très réussie de Charles Berling et Marco Giusti tous les meubles sont couverts de draps blancs, comme si le lieu quelque peu irréel était déjà habité par l’absence de vie. Il est vrai qu’ici on s’enfonce délicieusement dans le canapé « comme dans une tombe »… Du début à la fin, comme une échappatoire qu’on a sous la main, l’alcool coule à flots, faisant sauter les verrous des faux-semblants et déliant les langues. Tout le reste, tous les signes d’un confort bourgeois ordinaire finiront jetés au sol avec fracas. Les spectateurs sont témoins de l’avancée vers le pire, plongés dans un bouillon de névroses, trahisons et dysfonctionnements. Un tel théâtre, empli de violence, sans arrêt exacerbé, exige une vérité de présence, une vérité des corps qui puissent au-delà des mots et des disputes laisser émerger les fantômes des non-dits, l’humanité irréductible des personnages. Des personnages qu’on n’aime pas, qu’on ne déteste pas non plus – malgré l’étendue des dégâts.
L’enfer, c’est d’être ensemble…
Ancrée dans la réalité concrète de l’incarnation sur le plateau, jouant de la mise en abyme et d’une frontière brouillée et toxique entre le jeu et la vérité, la partition percutante ne délivre aucun message, ne donne aucune leçon de morale. Elle laisse émerger le pire, elle dérange parfois par la violence du jeu de massacre, par l’ampleur de l’autodestruction, par la cruauté du mépris de soi et de l’autre, tient en haleine pourtant de bout en bout. Dans la double position si exigeante du comédien et du metteur en scène, secondé par Amélie Wendling, collaboratrice de l’auteur pendant vingt ans et sa traductrice, et par Christiane Cohendy, Charles Berling incarne parfaitement Robert, mari jaloux et destructeur, dans une tension sourde. Bérengère Warluzel, que l’on a admirée dans Fragments d’après Hannah Arendt ou Montessori d’après l’œuvre de Maria Montessori et mis en scène par Charles Berling, change de registre avec la flamboyante, furieuse et fragile Alma. Elle l’interprète avec force et délicatesse. Caroline Proust est formidable en Hedda, d’une forme de naïveté dosée à la perfection, d’une sensibilité aiguë, faisant place çà et là l’humour et au rire. Alain Fromager, qui a adapté le texte avec Amélie Wendling, donne corps avec une épatante justesse à Jonas, apparemment normal… C’est l’enfer d’être ensemble. Mais même à propos d’une de ses pièces les plus sombres, Lars Noren souligne sur France Culture en 2008 : « Si l’espoir et la lumière ne sont pas dans la pièce, ils sont éventuellement chez le spectateur. L’important c’est que le spectateur soit touché, c’est lui qui pourra peut-être amener cette lumière. »
Agnès Santi
Du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 21h. Tél : 09 800 840 40. Durée : 2h10.
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