La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

C’est pas pour me vanter

C’est pas pour me vanter - Critique sortie Théâtre
légende photo : Décor et corps stylisés pour une Grammaire parfaitement maîtrisée. crédit photo : Pidz

Publié le 10 janvier 2010

Avec pour fil rouge la lâcheté du bourgeois et les ambiguïtés de son rapport au savoir, C’est pas pour me vanter regroupe deux pièces en un acte d’Eugène Labiche. Gloria Paris y accomode brillamment le vaudeville à la sauce commedia dell’arte et assaisonne le propos d’une noirceur d’actualité.

Puisqu’il s’agit de comédie, laissons tout d’abord parler les corps. Avec Gloria Paris, les personnages de bourgeois ignorant, d’archéologue précieux, de roquet de basse-cour… affichent physiquement les excroissances de leur personnalité. Le premier, arqué comme une banane par la vanité, se tortille de plaisir à évoquer d’imaginaires conquêtes politiques. Le second, plutôt lunaire, semble vouloir expulser, par un tic répété du pied, le défaut rédhibitoire de son fils : « Il ne sait pas accorder les participes passés ! ». Plus tard, un séducteur languide enivré d’alcool et de chaleur ne pourra soustraire son torse dépoitraillé aux appels de la chair, et une bourgeoise à l’imaginaire romanesque avancera vers lui en ondulant telle les plantes vénéneuses du cinéma d’antan. Rien ne se cache donc mais tout se voit chez ces personnages, et s’exhibe même ce qui voudrait le plus se dissimuler. Davantage que l’histoire, les corps, donc, font rire, révèlent les désirs, bien sûr, mais aussi la souffrance qu’il y a à devoir tenir son rang en société.
 
L’univers se vide de sa substance
 
Car les obligations du bourgeois et la peur panique qu’elles engendrent, voilà en même temps ce que l’on moque et qui fait s’apitoyer. Ridicules, les personnages sont aussi touchants par leur ordinaire médiocrité. Dans une courette imaginaire et étriquée, la Grammaire entremêle intrigue amoureuse et querelle de pouvoir autour du mésusage des règles d’orthographe. Ici, tout signe d’ignorance doit être soigneusement camouflé. Un vibrant éloge de la terre et une chanson introductive « chosa è la destra ? chosa è la sinistra ? » (qu’est-ce que la droite ? qu’est-ce que la gauche ?) mâtinent cette thématique de suggestives et transalpines allusions politiques. Dans 29° à l’ombre, la question du savoir devient plus secondaire – l’action plus linéaire et plus longue à démarrer – et la courette se transmue en vaste pré carré. Pourrait s’y dérouler un duel tant les personnages l’arpentent dans de répétitives traversées, mais Piget y fait preuve d’une insondable lâcheté. « Je vends des épées mais je ne sais pas me battre » explique-t-il pour s’excuser de ne pas défier celui qui a tenté de le cocufier. La valeur marchande de l’épée a pris le pas sur la destination première de l’objet. Par la suite, l’honneur bafoué se monnayera également. C’est l’avènement d’un monde en train de se monétiser. Entre les murs des longues palissades mobiles, tout est léger, fluide : les portes tournent sans claquer, et les êtres vont et viennent dans une sorte d’irréalité. L’univers se vide de sa substance, il ne reste donc plus qu’à représenter. C’est Labiche, vu par Gloria Paris. Drôle, théâtralisé et piquant comme une satire d’aujourd’hui.
 
Eric Demey


C’est pas pour me vanter  : La Grammaire et 29 degrés à l’ombre d’Eugène Labiche. Mise en scène de Gloria Paris. Spectacle vu au Théâtre du Nord à Lille. Théâtre de Saint-Germain en Laye, le 12 janvier 2010, Centre culturel d’Ormesson, le 23, Théâtre de Dourdan, le 30, Théâtre de Vienne, les 4 et 5 février.

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