La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Cabaret dans le Ghetto

Cabaret dans le Ghetto - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l'Epée de bois
Théâtre de l’Epée de Bois / d’après Ce que je lisais aux morts de Wladyslaw Szlengel / adaptation et mes Justine Wojtyniak © Henry Fronty

Publié le 11 janvier 2018 - N° 261

Après Notre Classe, Justine Wojtyniak crée le second volet du diptyque intitulé Blessures du silence, autour de la figure du poète de Varsovie Wladyslaw Szlengel (1911-1943). Un théâtre en forme de cabaret musical et chorégraphié où le passé rejoint les rives du présent de manière profondément touchante. 

L’Histoire avec sa grande hache a fait son œuvre mais le geste de résistance de Wladyslaw Szlengel résonne aujourd’hui avec force et délicatesse grâce à Justine Wojtyniak et aux siens. Populaire « chroniqueur des naufragés », le poète et cabarettiste dépeint avec un humour grinçant et une lucidité absolue la vie dans le ghetto de Varsovie, de 1941 jusqu’aux déportations massives et à l’insurrection de 1943. La nuit depuis sa fenêtre juive son regard pénètre le silence du soir de Varsovie. Il délivre ses « mémoires du fond de l’enfer » au fil de poèmes, chroniques et dialogues extraordinaires. « Ça oui, on est bien entourés. Pour l’instant. » dit l’un. « Mon vrai dehors c’est mon dedans. » réplique l’autre. Avec des papiers administratifs, lettres, cartes postales, dessins d’enfants et autres écrits, ses poèmes font partie des documents collectés et dissimulés dans des bidons de lait – 35369 pages -, puis enterrés dans divers points du ghetto par une organisation clandestine regroupée autour de l’historien Emmanuel Ringelblum, appelée Oyneg Shabbes (« La joie du Shabbat »). C’est ainsi qu’ils sont parvenus jusqu’à notre époque. Et c’est grâce à Justine Wojtyniak, formidable passeuse, que ce geste d’écriture résonne au présent dans la petite salle en bois de l’Epée de Bois. Car ce qu’elle fait entendre et met en lumière, c’est l’arme du poème contre l’horreur de la Shoah, c’est le combat de l’esprit qui se tient au centre de la vie du poète, et au centre de cette représentation modeste par ses moyens, mais riche par les émotions et les pensées qu’elle éveille.  A cour est installée une narratrice, incarnée par Justine Wojtyniak, donnant corps autant au poète et à son extraordinaire parcours qu’à la Polonaise démocrate qu’elle est, insurgée contre les dérives ultra-nationalistes et ultra-conservatrices de la Pologne actuelle, qu’elle évoque avec gravité et détermination. Auprès d’elle, son bureau, sa machine à écrire, et un chevalet sur lequel elle dispose quelques photographies. Dont celle d’Halina Birenbaum, survivante qui apprit les poèmes par cœur et les a transmis à ses enfants et petits-enfants. Une voix d’aujourd’hui, une voix survivante fortement impliquée dans la transmission, qu’on entend en polonais.

Un geste de résistance

Tout fait sens ici ; l’histoire disparue se fraie un chemin jusqu’à nous contre l’oubli. Contre la maltraitance de nos frères humains. La construction de la pièce constitue un pont entre les morts et les vivants, entre un passé anéanti et le présent qu’on espère nourri des leçons du souvenir. Ni restitution, ni incarnation, ni explication, le travail théâtral dessine un palimpseste sensible où demeurent lisibles jusqu’à aujourd’hui diverses strates de l’écriture et du réel. Délimité par deux rampes de projecteurs, l’espace épuré accueille les mots du poète qui se conjuguent à la musique – contrebasse et piano –  et à la danse. Le jeune acteur et danseur Gerry Quévreux et le musicien Stefano Fogher forme un duo expressionniste et clownesque bien accordé. Certains apprécient les moments dansés, d’autres préfèrent la voix des poèmes, certains rient, d’autres demeurent graves, mais en tout cas la mise en scène réussit à relier de manière organique toutes les composantes de son théâtre, en évitant le risque d’une simple succession de scènes. Presque à l’abri des regards est déposée une couche de terre d’où est extrait le poème, en un geste délicat comme pour une naissance. Un geste quasi miraculeux tourné vers notre société. Et aussi une matière théâtrale de haute valeur pour savoir comment aujourd’hui exercer sa liberté. A voir d’urgence par les jeunes et moins jeunes générations !

Agnès Santi

A propos de l'événement

Cabaret dans le Ghetto
du lundi 8 janvier 2018 au samedi 27 janvier 2018
Théâtre de l'Epée de bois
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris

Du 8 au 27 janvier, du lundi au samedi à 20h30, samedi à 16h. Tél : 01 48 08 39 74.  Durée : 1h30.

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