Pisteurs d’Etoiles
Un grand chapiteau, un plus petit, une salle [...]
Durant deux mois, du 11 avril au 12 juin, le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues investit le Théâtre de la Bastille. Parmi les propositions qui nourriront cette « occupation » artistique, une appropriation théâtrale du roman de Gustave Flaubert : Madame Bovary.
Il y a évidemment le roman de Gustave Flaubert, ce monument de la littérature mondiale qu’est Madame Bovary – Mœurs de province. Il y a aussi des extraits de correspondances entre l’écrivain et Elisa Schlésinger, sorte de muse qui influença son existence et son écriture. Et il y a enfin, et surtout, les échanges tenus lors du procès intenté contre lui, en 1857, suite à la publication de son roman dans la Revue de Paris : procès pour « outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs ». C’est Flaubert lui-même qui prit l’initiative de faire sténographier (à ses frais) le réquisitoire et la plaidoirie de cette action en justice afin de témoigner de l’ineptie de la société dans laquelle il vivait. Qui connaît le travail de Tiago Rodrigues (directeur, depuis 2014, du Teatro nacional D. Maria II) pouvait imaginer que son Bovary* ne serait pas une adaptation lisse et convenue de l’œuvre de Flaubert. Entremêlant lignes narratives du roman, débats du procès et confessions épistolaires de l’écrivain (sur le roman lui-même, sur la création littéraire en général, sur la condition d’écrivain…), le metteur en scène portugais crée un spectacle conjuguant esprit de liberté et d’aventure.
Une exploration multidimensionnelle passionnante
Beaucoup moins âpre et radicale que le stupéfiant António e Cleópatra (mise en scène de Tiago Rodrigues présentée l’année dernière au Festival d’Avignon et repris, en début de saison, au Théâtre de la Bastille), cette Bovary n’en est pas moins une proposition plus qu’ambitieuse. Car ce qui n’aurait pu être qu’un exercice de style (c’est ce que peut laisser craindre le début du spectacle) déploie, au fil de la représentation, beaucoup de charme, d’humour. Beaucoup de profondeur. Nourrie par les performances charnelles, fortement vivantes, d’un groupe de comédiens absolument remarquable (David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alma Palacios, Ruth Vega-Fernandez et Jacques Bonnaffé, d’une sensibilité désarmante), cette appropriation du roman de Flaubert nous embarque dans un univers qui ne cesse de s’élargir et de se densifier. C’est une exploration multidimensionnelle passionnante que nous proposent ici Tiago Rodrigues et ses interprètes. Une plongée dans les multiples strates d’un corps littéraire qui, au-delà même de l’intérêt que sa grandeur suscite, donne lieu à toutes sortes d’observations sur l’activité créatrice et les règles de l’art.
Manuel Piolat Soleymat
* Texte publié aux Editions Les Solitaires Intempestifs.
Du mercredi au samedi à 20h. Relâches exceptionnelles du 5 au 7 mai. Spectacle vu le 11 avril 2016, lors d’une première série de représentations au Théâtre de la Bastille. Durée du spectacle : 2h15. Tél. : 01 43 57 42 14. www.theatre-bastille.com
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