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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien / Boris Charmatz

Boris Charmatz, portrait ancré dans le monde

Boris Charmatz, portrait ancré dans le monde - Critique sortie Danse Paris
Crédit : Sébastien Dolido Boris Charmatz

Festival d’Automne à Paris / Portrait

Publié le 6 août 2020 - N° 286

Depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, tendu vers le futur à inventer, ce portrait porte loin la réflexion sur la danse et traverse des œuvres étonnantes et détonantes.  A bras le corps.

La Ruée qui ouvre ce Portrait est une pièce chorégraphique créée à partir de l’ouvrage Histoire mondiale de la France dirigé par Patrick Boucheron. N’est-ce pas un défi de danser un livre ?

Boris Charmatz : J’adore ce livre, projet d’histoire et ouvrage collectif né après les attentats de 2015, écrit à cent vingt-deux mains, ce que je trouve magnifique. Chaque chapitre retrace une date, de 34 000 avant J.-C. à 2015. De l’histoire pesante, légère, connue, méconnue, complexe. Je travaille avec une quarantaine d’artistes invités, dont vingt étudiants en théâtre du Théâtre national de Bretagne, et vingt professionnels. Chacun s’empare d’un chapitre, au cœur d’une immense installation d’Yves Godin. C’est très chaotique, hypnotique, assez fou, à l’image de ce que j’aime faire. C’est une bonne façon d’ouvrir le portrait et le débat.

Un autre livre vient clore ce Portrait, c’est La Ronde d’Arthur Schnitzler…

B.R. : Deux volets composent ce dernier opus : La Ronde, d’après Arthur Schnitzler, et Happening Tempête, soit ce qui reste d’un projet où je voulais faire s’agglutiner, s’agglomérer, transpirer, courir dans tous les sens 400 personnes. C’était impossible à organiser avec le COVID mais nous avons gardé l’idée d’impromptu pour se réunir et danser tous au Grand Palais, pendant cinq heures. Nous avons travaillé en amont avec certains groupes : les élèves du CNSMDP, les acteurs de la compagnie de l’Oiseau-mouche à Roubaix, les étudiants des Beaux-Arts de Paris, des salariés de la Réunion des Musées Nationaux ou de Chanel — notre mécène sur ce projet —, pour un volet complètement participatif. La Ronde, publié en 1900 au moment de l’inauguration du Grand Palais, se déploie en une série de couples liés les uns aux autres, comme un duo sans cesse recomposé où chaque personnage reforme une nouvelle paire avec le suivant. Nous allons travailler à partir de duos existants de mon répertoire ou de l’histoire de la danse, mais aussi de créations avec les artistes invités, soit une vingtaine de duos à l’infini pendant toute la nuit, au Grand Palais.

Vous remontez le temps avec A bras le corps, Aatt enen tionon, avec l’hommage que vous rendez à Odile Duboc à travers boléro2 / étrangler le temps, avec aussi Vingt danseurs pour le XXe siècle et plus encore. Pourquoi ce choix ?

B.R. : A bras le corps, c’est ma première pièce créée avec Dimitri Chamblas, et Aatt enen tionon, la première que j’ai chorégraphiée seul. C’est une pièce à la structure verticale où chaque corps est séparé des autres par un étage. Il est intéressant de la revoir, de la revivre ; je l’ai réalisée en pleines années SIDA et aujourd’hui, un autre virus nous menace. La danse peut appréhender d’une manière sensible cette histoire de corps empêchés. L’hommage à Odile a lieu à l’Orangerie, un cadre idéal et en soi une œuvre extraordinaire. Vingt danseurs pour le XXe siècle a été monté à l’Opéra de Paris, au MOMA ; à la demande de la directrice du Châtelet, Ruth Mackenzie, nous nous projetons au 21e siècle avec des chorégraphies de Gisèle Vienne, Mette Ingvarsten, Marlène Saldana, Bryanna Fritz…

« Nous avons besoin de l’Histoire, de mémoire, afin de pouvoir penser le futur. »

L’autre fil de ce portrait, c’est l’accent sur le rôle de la parole dans votre œuvre…

B.R. : Au sein de La Fabrique du CND, la Session Poster s’est placée à cet endroit. C’est la place de la parole, de l’échange, et des idées qui nous agite et qui m’importe. J’ai dansé parce que j’aimais le studio de danse, les corps, et en dansant je me suis mis à parler, à écrire, à lire, c’est une dimension extrêmement importante pour moi, qui ne peut se simplifier par la dichotomie entre pratique et théorie. Dans La Ruée ça parle beaucoup, dans 10000 gestes, c’est l’effet du geste ou du mouvement qui « fait discours ». Nous avons besoin de l’Histoire, de mémoire, afin de pouvoir penser le futur. Nous avons besoin de nous appuyer sur ce socle. C’est pour cette inscription dans le temps et dans la parole que je me suis mis à chorégraphier : cela m’a libéré. Un tout petit événement de cette rentrée me tient à cœur. Je vais rencontrer Ginette Kolinka, une survivante d’Auschwitz, au Mémorial de la Shoah le 10 septembre. Nous avons besoin aujourd’hui du passé traumatique de la Seconde Guerre Mondiale pour inventer un terrain futur, pour ne pas nous morfondre.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

A propos de l'événement

Festival d’Automne à Paris
du samedi 5 septembre 2020 au dimanche 7 février 2021

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