La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Bernard Levy adapte « Histoire d’une vie » d’ Aharon Appelfeld

Bernard Levy adapte « Histoire d’une vie » d’ Aharon Appelfeld - Critique sortie Théâtre Sénart Scène nationale de Sénart
©Philippe Delacroix

Scène Nationale Sénart / TOP / Tournée / Histoire d’une vie / de Aharon Applefeld / mes Bernard Levy

Publié le 28 octobre 2014 - N° 225

Histoire d’une vie est un très grand livre, de cette catégorie exceptionnelle qui transcende les cultures et touche à l’essence de l’homme. Les mots chez Aharon Appelfeld ne sont pas là pour faire les beaux, ils pénètrent notre cœur autant que notre esprit. Bernard Levy a la brillante idée de porter à la scène cette écriture majeure qui dit si bien les fragiles réalités humaines.


Comment vous êtes-vous décidé à porter cette écriture à la scène ?

 Bernard Levy : Je connais l’œuvre exceptionnelle d’Aharon Appelfeld  depuis une dizaine d’années. J’ai longtemps cherché comment porter son écriture à la scène, et j’ai d’abord souhaité créer une sorte de patchwork à partir de trois livres, Le Garçon qui voulait dormirEt la Fureur ne s’est pas encore tue, et Histoire d’une vie, puis je me suis dit qu’il était dommage de ne pas fonder le travail sur ce livre majeur qui relate son parcours unique. Né en Roumanie en 1932, Aharon Appelfeld connut une petite enfance heureuse avant d’être frappé par la guerre et de survivre sous la menace constante de la mort. Orphelin à huit ans, il s’échappa d’un camp et erra seul longtemps dans les forêts ukrainiennes. Après la guerre, l’adolescent arrive en Israël et lentement, douloureusement, il prend conscience de sa vocation littéraire. Cinquante ans après la guerre,  « le cœur a beaucoup oublié, principalement des lieux, des dates, des noms de gens, et pourtant je ressens ces jours-là dans tout mon corps. » dit-il.  Le livre est un combat permanent avec la langue et avec la mémoire pour faire advenir les mots justes, pour relier les mots à la vie, et un combat entre l’héritage du passé et l’abrupte nouveauté du présent. Je l’ai rencontré plusieurs fois à Jérusalem, c’est un homme simple et chaleureux,  son œuvre n’a quasiment jamais été montée au théâtre et il m’a autorisé à créer cette pièce.

« Le livre est un combat permanent avec la langue et avec la mémoire pour faire advenir les mots justes, pour relier les mots à la vie. »

Quels passages du livre avez-vous privilégiés ?

B. L. : Ça n’a pas été facile. Sans rien changer à l’écriture, j’ai réalisé une adaptation avec mon dramaturge Jean-Luc Vincent. Je n’ai pas gardé les chapitres concernant la Shoah. Ce sont surtout les chapitres 15 à 19 qui m’ont intéressé, ils évoquent l’écriture, la langue, la mémoire et sa perte, et un aspect assez méconnu de l’immigration vers Israël. Lorsque les gens y sont arrivés, on leur a demandé avec peu de psychologie de devoir oublier leur langue et leur lieu d’origine, et pour beaucoup de changer leur nom et prénom. Cette coupure fut souvent extrêmement douloureuse. Aharon Appelfeld explique que renoncer à sa langue maternelle fut comme perdre sa mère une seconde fois, et il parle aussi de l’hébreu comme de « sa langue maternelle adoptive ». Il a lutté pour ne pas perdre sa langue maternelle et pour faire sienne la langue hébraïque, et il a pu revenir à lui-même et échapper aux déterminismes. Cet aspect m’intéresse et résonne avec les débats actuels sur l’intégration et le communautarisme.

En quoi vous sentez-vous proche d’Aharon Applefeld ? 

B. L. : La mémoire, la langue, les mots, et aussi le silence sont des notions qui me touchent profondément. Cette écriture simple, musicale, imagée et précise alterne des images fortes et des réflexions profondes. L’écriture laisse la place au silence entre les phrases, et j’aime au théâtre cette place accordée au silence. Cette façon de convoquer des mondes et de se relier à ces mondes pour advenir en tant qu’homme et en tant qu’écrivain m’est proche. Il puise dans la mémoire de son histoire et de ses grands-parents et se rattache à ces mondes. C’est Thierry Bosc, que je connais bien, qui va interpréter le texte, conjuguant la réflexion à des nuances de l’enfance. Il est d’une grande humanité. Nous avons réalisé un travail sur le son, la lumière et la vidéo, un travail non illustratif et presque sensitif, afin de faire écho à la puissance de l’écriture. Le pari est de réveiller des choses de l’âme, des choses profondes et archaïques.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Histoire d’une vie
du mardi 4 novembre 2014 au samedi 15 novembre 2014
Scène nationale de Sénart
Rue Jean François Millet, 77380 Combs-la-Ville, France

Le 4 novembre à 20h30, les 5 et 6 à 19h30. Tél : 01 60 34 53 60. Théâtre de l’Ouest Parisien, 1 place Bernard Palissy, 92100 Boulogne Billancourt. Du 13 au 15 novembre à 20h30. Tél : 01 46 03 60 44. Puis tournée en France.

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