La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse contemporaine - Critique - En direct du Châtelet

Barbe-Bleue, chef-d’œuvre de Pina Bausch. Une pièce exigeante, d’une beauté stupéfiante.

Barbe-Bleue, chef-d’œuvre de Pina Bausch. Une pièce exigeante, d’une beauté stupéfiante. - Critique sortie Danse Paris Théâtre du Châtelet - Grande salle
Barbe-Bleue de Pina Bausch par le Tanztheater de Wuppertal Crédit : Christian Clarke

Théâtre du Châtelet(Programmation hors les murs du Théâtre de la Ville) / Chor. Pina Bausch

Publié le 20 juin 2022 - N° 300

Plus de quarante ans après l’avoir présenté au Théâtre de la Ville, le Tanztheater de Wuppertal reprend à Paris ce chef-d’œuvre de Pina Bausch créé à partir de l’unique opéra de Béla Bartók. Une pièce exigeante, d’une beauté stupéfiante, où les relations entre les hommes et les femmes ne peuvent s’extirper d’une violence assassine.

En juin chaque saison, a lieu l’un des rendez-vous majeurs du Théâtre de la Ville, très attendu par le public. La venue du Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch, immense artiste disparue en 2009, est toujours un événement. Avant même sa reconnaissance, le visionnaire Gérard Violette, qui fut directeur du Théâtre de La Ville jusqu’en 2008, invita Pina à Paris ; Barbe-Bleue, pièce créée en 1977 et présentée à Paris en 1979 (il y a plus de 40 ans !), fut la première pièce de la troupe qu’ont découverte les spectateurs français. Force est de constater qu’elle n’a rien perdu ni de son acuité ni de sa beauté, ni même de son audace. Détachés des modes et des pièges des idéologies qui emprisonnent la pensée autant qu’elles enferment le cœur, les grands artistes comme Pina saisissent ce qui constitue l’humain, avec une imagination et un savoir-faire qui sidèrent. Exigeante, âpre, désespérément répétitive, cette pièce n’est pas la plus facile et certainement pas la plus joyeuse. Mais elle est en tout point magistrale, exprimant par les corps ce qui se tapit au plus profond des êtres : le pulsionnel, l’inavoué et l’inavouable. En cela, le déploiement des relations entre hommes et femmes ne se limite pas à une analyse sociale ou sociétale des comportements, mais plonge au cœur des êtres et de leurs contradictions, dans l’espace abandonné d’un château où éclate toute la violence de relations où rien ne console. Sur un sol jonché de feuilles mortes où se voient les traces laissés par les corps, dans un espace quasi vide cerné de murs où l’on se cogne ou tente de se réfugier, la violence cède le pas à la détresse et vice-versa. Le titre exact de la pièce : En écoutant un enregistrement de l’opéra de Béla Bartók « Le Château de Barbe-Bleue » donne le la.

La danse révèle l’horreur de l’emprise

À la manœuvre, un homme commande un magnétophone, c’est la musique qui déclenche le mouvement, puis son arrêt qui le stoppe, figeant net les corps en de sublimes tableaux, un peu comme le jeu enfantin de Un, deux, trois, soleil. Leurs chevelures masquant souvent les visages, les femmes presque toujours subissent, comme lors de cette impressionnante scène où les hommes les capturent dans un drap blanc. Corps dansants, vivants, ou corps inertes, marionnettiques des femmes : la danse raconte ce qui se passe dans une intimité sans protection livrée à la force physique et à l’emprise mentale. Y compris envers les enfants si impuissants. Les hommes pèsent de tout leur poids sur le corps des femmes, ils exigent, dominent, soumettent, se pavanent ou s’effondrent, car eux aussi sont plongés dans un intense désarroi. De la séduction à la domination, de l’adoration à l’avilissement, c’est tout le champ sexuel qui est perverti, c’est en permanence que menace le monstre en l’homme. Le nombre de chutes est impressionnant. Chaque soir c’est une danseuse différente qui endosse le rôle de Judith, comme celui de Barbe-Bleue, metteur en scène autoritaire de la danse, interprété lui aussi par divers danseurs. Si la pièce dérange et génère tant de réflexions, c’est parce qu’elle éclaire de manière crue et implacable le pire, le plus important et le plus dommageable : l’avènement de la violence. Soit le cœur du problème, bien loin de certains « combats » d’aujourd’hui si anecdotiques et si pompeusement théorisés, comme l’exigence d’écriture inclusive. Par sa danse si imprégnée de ce qui fait l’humain, si belle et ici si désespérante, Pina Bausch quant à elle est au-dessus de la mêlée. Pour toujours.

Agnès Santi

 

A propos de l'événement

Barbe-Bleue
du samedi 18 juin 2022 au samedi 2 juillet 2022
Théâtre du Châtelet - Grande salle
1, place du Châtelet, 75001 Paris.

A 20h.

Durée 1h50 sans entracte. Dans le cadre de la saison du Théâtre de la Ville hors les murs.

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