Arthur Nauzyciel crée La Mouette d’Anton Tchekhov dans la cour d’honneur du Palais des papes. Un spectacle sur l’art, l’amour et le sens de nos existences à travers lequel le directeur du Centre dramatique national d’Orléans souhaite « parler pour réveiller les morts ».
« Je souhaite amener les spectateurs à envisager un rapport à l’invisible, aux fantômes, aux aspects mystérieux et oniriques du monde. »
Le contexte de création influence souvent vos choix de textes. Est-ce le cas pour La Mouette ?
Arthur Nauzyciel : Absolument. Le choix de cette pièce s’inscrit dans une double perspective. D’abord, la proposition qui m’a été faite par le festival d’Avignon de mettre en scène un spectacle dans la cour d’honneur – lieu emblématique de l’histoire du théâtre, ainsi que de la foi vilarienne dans le théâtre. Ensuite, le fait que cette création succède à Jan Karski (Mon nom est une fiction), un spectacle qui posait la question de l’humain dans une Europe contemporaine hantée par la Shoah, mais aussi la question de l’art envisagé comme un moyen de transmission de la mémoire. Car La Mouette tourne également autour de cette interrogation : l’art peut-il nous sauver, l’art peut-il donner du sens à nos vies gâchées par le quotidien de nos amours déçues ? On véhicule souvent une fausse image de cette pièce. On pense à la petite musique tchékhovienne, on croit qu’il s’agit d’une œuvre intimiste… Or, La Mouette est une pièce d’extérieur, une pièce de nuit traversée par des accents épiques.
Le regard que vous portez sur cette pièce est donc assez obscur, assez loin de la comédie…
A. N. : Oui, en effet. Ma mise en scène de La Mouette renvoie à l’idée d’un bal funèbre et poétique. Car, à travers elle, je souhaite amener les spectateurs à envisager un rapport à l’invisible, aux fantômes, aux aspects mystérieux et oniriques du monde, de l’existence. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que ce spectacle commence par la mort de Treplev. Non pas pour réaliser un effet de flash-back, mais pour dessiner une continuité d’après la disparition de Treplev. Une continuité à travers laquelle tout se rejoue et se revit à l’occasion d’une représentation qui a quelque chose d’une cérémonie, d’un rituel. Comme si tous les personnages étaient des morts qui ne savent pas encore qu’ils le sont, des êtres qui, de scène en scène, réalisent qu’ils ne sont déjà plus complètement de ce monde. Tout cela suppose de mettre au travail une forme de mélancolie chez les acteurs (ndlr, Marie-Sophie Ferdane – Nina, Xavier Gallais – Treplev, Laurent Poitrenaux – Trigorine, Dominique Reymond – Arkadina…).
Quel univers esthétique avez-vous imaginé avec le scénographe Riccardo Hernandez ?
A. N. : L’univers d’un monde d’après la destruction. Un monde habité par des figures fantomatiques, des revenants, des messagers, des êtres imaginaires. Le plateau entier devient le théâtre de Treplev, comme un lac asséché. Nous avons beaucoup rêvé à partir de l’image de la mouette, qui représente une énigme forte, une surface de projection extrêmement riche.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
Festival d’Avignon. Cour d’honneur du Palais des papes. Du 20 au 28 juillet 2012, à 22h (relâche le 23 juillet). Tél : 04 90 14 14 14. Durée estimée : 3h15.
La Mouette / Cour d’honneur
D’Anton Tchekhov / mes Arthur Nauzyciel