La Terrasse

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Théâtre - Critique

Bajazet de Racine, mise en scène d’Eric Ruf

Bajazet de Racine, mise en scène d’Eric Ruf - Critique sortie Théâtre Paris Studio Marigny
Birane Ba et Bakary Sangaré (en arrière-plan) dans Bajazet © Christophe Raynaud de Lage

texte de Racine / mes Eric Ruf

Publié le 23 octobre 2020 - N° 288

Quatre ans après la mise en scène donnée au Théâtre du Vieux-Colombier, Eric Ruf et la troupe de la Comédie-Française proposent une nouvelle version, comme pour extraire la substantifique moelle du texte. Un plat raffiné mais un peu sec.

Du texte, du texte, du texte. Il se dégage de cette nouvelle version de Bajazet un léger parfum d’austérité qui ne doit pas faire oublier combien Eric Ruf, son metteur en scène, innove sans cesse à la tête de la Comédie-Française. Pour cause de travaux, la Comédie-Française a migré vers le théâtre Marigny, et l’exiguïté du plateau du Studio a contraint Eric Ruf à remiser le dédale d’armoires du Bajazet du Vieux-Colombier pour donner naissance à un plateau dépouillé. Place donc à une simple table, noire, longue, autour de laquelle, en habits du quotidien – baskets et jean troué pour Elissa Alloula / Atalide –, les six comédiens, texte posé devant eux, figurent autant des acteurs en séance de lecture à la table que les personnages qu’ils incarnent. On se lève parfois, on se dirige à cour, à jardin, et les éclairages de Bertrand Couderc secondent plutôt subtilement la dramaturgie en aidant à faire naître des espaces. Mais dans ces conditions, c’est au texte – le fameux alexandrin racinien et ses entremêlements d’histoires politiques et amoureuses – qu’échoit la responsabilité principale d’emporter le spectateur pendant les deux heures de cette intrigue construite par Racine à partir d’une histoire qui lui avait été rapportée par l’ambassadeur de France à Constantinople.

Un conflit de générations

Le nœud dramatique de Bajazet est assez complexe – on s’y perd parfois – mais assez simple si l’on ne s’attarde qu’à l’essentiel  : Roxane et Atalide aiment Bajazet. Lui n’aime qu’Atalide.  Mais Roxane a pouvoir de vie et de mort sur ces deux jeunes amants. Les histoires politiques compliquent la chose, mais il reste que ce qui importe le plus, c’est la passion – les ruses, les dissimulations, les excès destructeurs comme les élans héroïques que peut générer chez l’humain le sentiment amoureux. Dans cet exercice, Clotilde de Bayser offre une Roxane délicieusement perfide et faible, qui tout du long pense parvenir à articuler son relatif pouvoir et l’accomplissement de ses plans de séduction, sans jamais s’apercevoir qu’elle se laisse tragiquement emporter. Birane Ba compose en miroir un Bajazet plutôt innocent, honnête, brinquebalé par les stratégies des unes et des autres, dont la principale faute reste d’inspirer tant d’amour. Tandis qu’Elissa Alloula endosse les habits de la jeune héroïne tragique en prise avec un monde qui la dépasse mais qu’elle essaye d’affronter. Car, outre le texte racinien que met forcément en valeur cette mise en scène, texte qui parfois submerge par sa musique lancinante et parfois redevient puissamment sensible et concret, c’est un conflit de générations qui affleure ici, notamment à travers le sous-texte de la distribution. Face à des adultes rompus à l’exercice cynique du pouvoir, des jeunes portent en eux la possibilité de refaire le monde. Mais à la fin, la tragédie advient…

Eric Demey

A propos de l'événement

Bajazet de Racine, mise en scène d’Eric Ruf
du samedi 17 octobre 2020 au dimanche 15 novembre 2020
Studio Marigny
Carré Marigny, 75008 Paris

à 18h. Relâche le lundi. Tel  : 01 44 58 15 15. Durée  : 2h.

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