« Sur le cœur », Fantasmagorie du siècle 21 de Nathalie Fillion
Nathalie Fillion ausculte le monde d’après la [...]
Porter à la scène Les guêpes de l’été nous piquent encore en novembre du dramaturge Ivan Viripaev est une gageure : un théâtre de texte et d’acteurs à la fois absurde, métaphysique et psychologique, qui laisse peu de prise à la mise en scène. Yordan Goldwaser a l’intelligence de le comprendre et de tout miser sur ses trois comédiens, avec une totale confiance dans la force des dialogues. Le résultat est convaincant, et immensément drôle.
Quand une pièce commence dans une white box au théâtre, on s’attend à ce que la mise en scène soit (très) dépouillée. Et c’est très exactement ce qu’il se passe dans la proposition scénique faite par Yordan Goldwaser : rien ne sera introduit en cours de route, le plateau encadré par son gradin tri-frontal restera nu à l’exception d’un piano noir, posé dans un coin. Il en sera fait un usage parcimonieux. Il est décoré de trois ballons de baudruche aussi incongrus qu’ils sont colorés, et ce détail à lui seul résume toute la pièce : on peut, en accordant une importance démesurée à des petits riens légèrement décalés, en faire le centre de l’attention et la source d’un rire pas tout à fait confortable. C’est une façon subtile de faire naître l’humour, par l’absurde. Effacement de la mise en scène, donc, mais non de la direction d’acteurs : David Houri, Pauline Huruguen et Barthélemy Meridjen ont besoin d’un jeu millimétrique pour ne pas se perdre dans les méandres de cette pièce où rien n’est certain, sinon que chaque être est porteur de vérités sur lesquelles il se construit et sans lesquelles il perd pied. Pour la précision de leurs émotions et leur impeccable énonciation d’un texte ardu, tous trois méritent d’être salués.
Je suis chatouillé (par les guêpes), donc je suis
Ces trois personnages, dont l’interprétation restitue toutes les nuances de l’égarement, de l’exaspération, de la frustration et de la colère aussi, sont redoutablement bien écrits. Lancés dans des dialogues qui sapent progressivement toute confiance dans le langage même, à force de formules vides, de quiproquos et de répétitions, Sarra, Robert et Donald tentent ab initio de résoudre une énigme qu’on pourrait qualifier de crise de la vérité : où donc était Markus, le frère de Roger et donc beau-frère de Sarra, lundi dernier, puisque deux des protagonistes affirment, témoignages à l’appui, que l’intéressé a passé la journée en sa compagnie et non en celle de l’autre ? Cette impossibilité logique, Viripaev en joue comme d’une balle folle qui, en ricochant, va progressivement fracasser l’idée même de vérité, dévaluer le langage, révéler les failles des trois amis pris dans ce tourbillon qui pourrait parfaitement n’avoir aucune fin… sinon que la pièce en a besoin. Elle se révèle, évidemment, elle-même parfaitement absurde. À moins qu’elle ne signifie que nous ne pouvons être sûrs de rien : ni du pouvoir de Dieu ni de celui de la psychanalyse, ni de l’amour de notre conjoint ni du témoignage de notre propre adelphe – de rien sinon, comme êtres sensibles, de notre besoin viscéral d’amour, et, comme êtres pensants, de notre expérience sensible et immédiate du monde.
Mathieu Dochtermann
à 13h45. Relâche les 8 et 15 juillet. Site : https://www.theatredutrainbleu.fr. Durée 2h05.
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