« Avant la terreur » de Vincent Macaigne : un chaos peu fécond et sans ancrage
MC93 puis Tandem Douai – Arras / Texte d’après Shakespeare et autres textes / Mise en scène de Vincent Macaigne
Publié le 9 octobre 2023 - N° 314Après six ans d’absence du paysage théâtral, Vincent Macaigne y revient avec Avant la terreur. Dans cette adaptation très libre du Richard III de Shakespeare, le metteur en scène mime le chaos plutôt que de proposer l’énorme expérience épique promise.
La corbeille de boules Quies présentée aux spectateurs qui s’apprêtent à vivre Avant la terreur introduit d’emblée celui-ci en territoire macaignien. Connu pour son goût de la démesure, pour son sens du bruit et de la fureur, Vincent Macaigne assure ainsi d’emblée à ceux qui le connaissent qu’ils trouveront ce qu’ils sont venus chercher. La fumée qui s’échappe du plateau masqué par un tulle, les cris énumérant toutes sortes de maux complètent la bienvenue du metteur en scène qui ne saurait mieux affirmer qu’il n’a pas changé, que les six ans pendant lesquels il a disparu de la circulation théâtrale n’ont rien émoussé de son mordant. Cette annonce est si fortement martelée qu’on a de quoi douter. Et en effet, lorsque sont enfin jetées les bases de Richard III écrit par Shakespeare en 1592, dont Avant la terreur est une adaptation que le metteur en scène décrit comme « très libre », on constate combien l’esthétique du chaos qu’il s’est forgé est ici limitant plus que fertile. Sur un plateau dont un interprète armé d’une lance à eau fait en direct un sol boueux, les comédiens amorcent le spectacle dans une adresse directe si criarde, ils usent de techniques si racoleuses et éculées qu’ils échouent à atteindre leur objectif : faire du public une assemblée complice et malléable à merci, prête à se lever et à crier comme un seul homme dès que l’ordre lui en est donné. Malgré toutes leurs tentatives généreuses en sueur et en (faux) sang pour établir une relation avec la salle, les huit interprètes de la pièce traversent tous les meurtres, toutes les violences de la pièce de Shakespeare sans parvenir à en faire une aventure collective.
Richard (presque) réhabilité
En confiant aux femmes de Richard III l’ouverture de sa pièce, et non à son héros éponyme comme c’est le cas chez Shakespeare, Vincent Macaigne en promet une lecture personnelle. Celle-ci s’avère hélas rapidement d’une facture assez décevante, voire problématique. En plaçant son protagoniste principal entre plusieurs générations d’aïeux prêts à toutes les violences pour accéder au pouvoir et une jeunesse beaucoup intelligente et éthique que lui, Vincent Macaigne crée un monde où le Bien et le Mal cohabitent si étroitement qu’ils finissent par se confondre, par s’annuler. Incarné par Pascal Rénéric à la manière d’un bouffon capricieux, sale et méchant mais aussi très enfantin, davantage victime que moteur du déchaînement quasi-incessant des acteurs, Richard III est presque racheté de tous ses crimes. Ni meilleur ni pire que les autres, déplacé du centre de la pièce pour occuper sa périphérie peuplée d’autres créatures guères plus reluisantes, il participe d’une fiction relativiste en tous points. Dans le grand bordel d’Avant la terreur, les époques se mêlent autant que les valeurs. En entrelaçant des marqueurs culturels du XVIème siècle avec des références très contemporaines, Vincent Macaigne se situe davantage hors de tout contexte que sur un pont fécond entre plusieurs périodes ainsi qu’entre réel et fiction. Faute d’ancrage et de d’objectif précis, Avant la terreur s’agite en vain.
Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Avant la terreurdu jeudi 5 octobre 2023 au dimanche 15 octobre 2023
MC 93 - Maison de la culture de Seine-Saint-Denis Bobigny
9 boulevard Lénine, 93 000 Bobigny
du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Tel : 01 41 60 72 72. www.mc93.com. Également du 7 au 9 novembre au Tandem Douai / Arras.