mauvaise, d’après debbie tucker green, mise en scène Sébastien Derrey
Avec mauvaise, Sébastien Derrey fait [...]
Dans une mise en scène au cordeau de Stanislas Nordey, la comédienne Cécile Brune donne corps avec un talent sûr au texte de Claudine Galea, créé à partir d’une image terrible issue de la prison d’Abou Ghraib en Irak.
Le 21 mai 2004 paraît dans le Washington Post la photographie d’une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier nu, à terre, dans le centre de détention d’Abou Ghraib en Irak. Cette image tristement célèbre a si profondément troublé Claudine Galea qu’elle lui a imposé l’écriture de ce texte, rédigé après trente-neuf tentatives infructueuses. C’est la lecture de En laisse de Dominique Fourcade à l’été 2005 qui a finalement permis d’enclencher l’écriture. Ce qui intéresse l’autrice, ce n’est pas l’homme détenu, c’est la fille. Et plus encore, c’est la fille qui tient la laisse, ce qui en elle déclenche des sentiments extrêmes, ouvre de vertigineux abîmes qui font émerger ses blessures, ses asservissements et ses colères. « Je suis cette laisse » dit-elle. C’est ainsi à partir de l’image et non pas sur l’image que se déploie l’écriture. Ce qui surprend dans ce texte écrit à la première personne, c’est que l’avancée de la parole interroge le trouble quasi de manière psychanalytique, en affrontant les tréfonds de l’intime, les liens qui entravent, sans livrer d’analyse ou de réflexion, mais dans une dimension instinctive, organique. Ce qui surprend aussi, c’est que cette introspection laisse émerger toutes sortes d’ambivalences, où les contraires se côtoient, par des effets d’enclenchements abrupts des pensées, de ressassement. « Je me suis située en tant que bourreau et en tant que victime » remarque l’autrice, qui a voulu se mettre « des deux côtés de la laisse », entre attraction et répulsion.
Une image à déflagrations multiples
Ex-pensionnaire de la Comédie-Française, Cécile Brune maîtrise parfaitement cette partition ardue. Le rideau s’ouvre, l’ombre immense de l’image disparaît mais l’obsession autant que la nécessité d’écrire restent. Seule, comme enfermée dans son espace mental où trône la page blanche impérieuse qui appelle le flux de la langue, la comédienne en pantalon noir et chemise bleue fluide donne corps à un « flux de conscience » ouvert à divers surgissements et pulsions. La narratrice évoque une récente rupture amoureuse avec une fille aimée qui l’a fait souffrir, son enfance auprès d’une mère qui l’a brutalisée et humiliée. Elle parle crûment de sexualité, de son amour du corps des filles, de la violence de sa mère. La scénographie épurée conçue par Emmanuel Clolus est une boîte bleutée, sans échappatoire, qui laisse toute la place aux mouvements des mots comme à ceux de la pensée. Lors de la scène inaugurale la comédienne incertaine est juchée sur une table à jardin, puis elle s’avance, réussit le tour de force d’exprimer sans faillir toutes les nuances émotionnelles qu’implique le texte. Dans la mise en scène au cordeau de Stanislas Nordey, la comédienne trouve sa juste démesure, sans céder à aucun effet de pathos, de débordement ou d’exagération. La partition est une plongée tranchante au cœur de déflagrations ancrées dans l’intime, d’une manière singulière qui est sa qualité mais aussi sa limite. Car la parole ne parvient pas à dépasser une forme d’enfermement dans les douleurs intimes.
Agnès Santi
du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h. Tél : 01 44 62 52 52.
Texte publié aux éditions espaces 34.
Grand Prix de Littérature dramatique 2011.
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