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Théâtre - Entretien

Arnaud Meunier / Splendeurs et misères du capitalisme

Arnaud Meunier / Splendeurs et misères du capitalisme - Critique sortie Théâtre SAINT ETIENNE La Comédie de Saint-Etienne
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

La Comédie de Saint-Etienne / Chapitres de la chute / de Stefano Massini / mes Arnaud Meunier

Publié le 15 octobre 2013 - N° 213

Arnaud Meunier met en scène la saga des frères Lehman, du magasin de tissu à l’empire bancaire. La création de ce texte est l’occasion de découvrir le talent du jeune dramaturge italien Stefano Massini.

Accroche : « Ce n’est pas du théâtre documentaire, mais un théâtre très documenté. »

 

Comment avez-vous découvert cet auteur encore méconnu en France ?

Arnaud Meunier : Le comité de lecture du Théâtre du Rond-Point avait repéré ce texte. C’est une trilogie. A l’époque, n’existait que la première partie, de 1847 à la guerre de Sécession. Quand je l’ai lu, ça faisait longtemps que je n’avais pas été happé à ce point par un texte de théâtre. C’est un récit, avec des tirets, mais aucune indication de qui parle et de comment le jouer. Cet aspect est complètement laissé à la mise en scène. Cette forme excitante accompagne un fond épique, tout en rebondissements, qu’on lit comme un bon polar.

 

Comment s’organise cette trilogie ?

A. M. : La première pièce, juive, s’attache aux pères fondateurs ; la deuxième, américaine, aux fils nés au Etats-Unis ; la troisième, dont le personnage central est le petit-fils, s’intéresse au passage de la banque à la finance, lorsque la banque familiale s’ouvre à l’extérieur. Six Lehman rythment l’histoire. Le théâtre de Stefano Massini n’est pas du théâtre documentaire (ce n’est pas un biopic), mais c’est un théâtre très documenté. A partir du réel, il ouvre des fenêtres d’interrogation sur l’histoire, mais ne la juge jamais. Il explore deux cents ans du capitalisme américain : le spectacle tient à la fascination pour cette success story et à l’effroi qu’il provoque, notamment quand est évoquée la crise de 29, en écho avec ce qu’on vit aujourd’hui. Tout s’organise autour du motif de la chute, autour du moment où ça va trop loin. En même temps, c’est un conte, une saga, dont, un peu comme dans Titanic, on connaît d’emblée la fin. On sait qu’en 2008, la faillite de cette banque a provoqué la crise actuelle. A partir de cette fin, on revient en arrière pour reconstruire l’histoire. On retrouve chez Massini les mêmes racines italiennes que chez Fausto Paravidino. Tous les deux sont des post-pasoliniens, auteurs d’un théâtre en prise avec aujourd’hui, mais dont la forme onirique, poétique, transcende le réel.

 

Quel traitement scénique avez-vous imaginé ?

A. M. : Le texte, dans sa forme, laisse un espace de jeu considérable pour l’acteur. On pourrait craindre un théâtre de narration, mais le texte offre une richesse inouïe pour les espaces à jouer. J’ai choisi les acteurs en conséquence : six acteurs, trois (les premiers Lehman), deux (les fils) et un (le petit-fils). J’ai travaillé sur les différentes générations, en les mélangeant. Martin Kipfer, qui a vingt-quatre ans, joue le rôle du père de Serge Maggiani, le plus âgé de la troupe. Cet écho générationnel au plateau est très beau. Le plaisir de jeu ouvre des possibles incroyables, et l’on se laisse embarquer et ébranler par les questions posées sur les mécanismes financiers et boursiers, qui sont d’autant mieux éclairées par le concret de cette histoire familiale.

 

Qui sont les Lehman ?

A. M. : Ils sont caractéristiques des familles juives immigrées aux Etats-Unis au XIXème siècle : les Goldman, les Blumenthal, les Rothschild, dont il est aussi question dans la pièce. Au départ, trois frères viennent de nulle part, ils sont pauvres et travaillent dur pour vendre du tissu. Leur installation dans l’Alabama, au milieu des plantations de coton, le hasard de l’histoire et la ruine de leur village font qu’ils sont payés avec la récolte du coton brut, la revendent et inventent le métier d’intermédiaire. Ensuite, on assiste à l’itinéraire classique de ces familles juives qui ont convergé vers New York et participé à sa transformation. Lorsque commence l’histoire, les Etats-Unis ne sont pas encore la première puissance mondiale : ils vont le devenir à travers le développement du capitalisme. Les rares pièces qui traitent du monde économique et financier le font souvent selon un axe de dénonciation. Ce n’est pas le cas de Massini. Mais son récit est une manière plus efficace d’ébranler nos certitudes, puisque son écriture rend tout simple et concret. Stefano Massini est un auteur appelé à devenir très connu. Je pense qu’il est un grand dramaturge, et c’est aussi pour cela que je monte Femme non rééducable, une autre de ses pièces, au Théâtre de la Commune, en février prochain.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Chapitres de la chute
du mardi 8 octobre 2013 au jeudi 17 octobre 2013
La Comédie de Saint-Etienne
7, avenue Emile-Loubet, 42000 Saint-Etienne.

Du 8 au 17 octobre 2013. Du lundi au vendredi à 20h ; le dimanche à 15h. Tél. : 04 77 25 14 14. Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Du 7 au 30 novembre à 19h ; le dimanche à 15h30 ; relâche le lundi et le 10 novembre. Tél : 01 44 95 98 21. En tournée en France en 2013-2014.
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