La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

(A)pollonia

(A)pollonia - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Magdalena Hueckel Légende photo : Krysztof Warlikowski convoque l’horreur occidentale sur le plateau.

Publié le 10 novembre 2009

Krysztof Warlikowski orchestre un spectacle polyphonique exigeant, où le soin apporté à la facture artistique sert une interrogation métaphysique taraudante et complexe sur la question du mal.

La tâche qu’assignent Krysztof Warlikowski et les siens au Nowy Teatr qu’ils ont créé et animent est triple : « Avance. Regarde. Réfléchis. ». Tel pourrait être l’exergue d’(A)pollonia. En s’attachant au conflit indéfini du bien et du mal incarnés, autour du geste sacrificiel, par des figures historiques et littéraires, Warlikowski interroge les affres existentielles et morales de l’humanité en réussissant à s’abstenir de donner des leçons tout en refusant de banaliser le mal. Iphigénie meurt pour l’Hellade et pour que souffle le vent qui conduira la guerre achéenne aux rives de Troie. Alceste meurt pour que vive Admète, son mari, auquel les dieux ont permis de se choisir un remplaçant à l’heure du trépas. Apolonia Machczynska, qui a caché vingt-cinq Juifs dans sa maison de Kock, meurt en prenant sur elle la responsabilité totale de sa résistance humaniste. Et tous, autour de ces trois sacrifiées, se taisent, voire, à l’instar de la mère d’Admète, préfèrent qu’on en finisse au plus vite, comme si le spectacle de l’abnégation était plus insupportable encore que celui du mal. Warlikowski rappelle ainsi qu’il est beaucoup moins simple d’être saint que salaud, victime que bourreau, contrairement au cynisme émétique du discours de Maximilien von Aue (personnage principal des Bienveillantes) dit par Agamemnon revenu d’ensanglanter les autels troyens. Le méchant trouve toujours l’excuse facile des circonstances alors que la bonté pâtit du fait que ceux qui l’admirent la détestent toujours un peu de s’en craindre incapables.
 
Répondre en artiste à la question de l’homme
 
Warlikowski montre les effets de ce paradoxe moral et invite ainsi le public à participer à l’élucidation des questions qu’il pose. La cruauté, voire la crudité des situations et du jeu poussent le dilemme moral jusqu’à l’incandescence insupportable qu’éprouve toute liberté nécessairement confrontée au choix entre le bien et le mal. Lucide sans doute, provocant sans conteste (transformant la reconnaissance des Justes en bouffonnerie clownesque), Warlikowski se garde pourtant du cynisme autant que du détachement de la belle âme. Ne serait-ce que parce que c’est en artiste et non en moraliste qu’il opère et que la disposition scénique et dramaturgique, qui laisse une place très importante à la musique, permet une diffraction réceptive et une distanciation qui permettent de résister à la pure contemplation complaisante des horreurs décrites. La concaténation des éléments choisis, adroite et pertinente, permet de comprendre que ce qui est en jeu relève davantage de l’anthropologie que de l’histoire. Les acteurs, avec force et rigueur, s’emparent de cette partition terrifiante où l’épouvante des premières tragédies se répète en ses avatars historiques. Filmés en direct sur le plateau, ils parviennent à jouer en gros plan avec autant de vérité qu’ils le font également dans l’espace que mesure l’immensité du plateau et ils font tous preuve d’un talent époustouflant. Krysztof Warlikowski fait avec ce spectacle le pari d’une exigeante complexité et le gagne haut la main.
 
Catherine Robert


(A)pollonia, d’après Euripide, Eschyle, Hanna Krall, Jonathan Littell, J. M. Coetzee… ; mise en scène de Krysztof Warlikowski. Du 6 au 12 novembre 2009 à 19h30 ; le dimanche à 14h30. Théâtre National de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris. Réservations au 01

A propos de l'événement


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