Anne Kessler monte « Omar-Jo, son manège à lui » adapté par Guy Zilberstein d’après Andrée Chédid
Studio de la Comédie-Française / Texte de Guy Zilberstein d’après Andrée Chédid / Mise en scène d’Anne Kessler
Publié le 28 septembre 2024 - N° 325Dans Omar-Jo, son manège à lui, la metteure en scène Anne Kessler et l’auteur Guy Zilberstein font du héros d’un roman d’Andrée Chédid, L’Enfant multiple, le sujet d’un podcast sur les enfants victimes de guerre. En plus d’affaiblir la portée poétique et politique du livre, cette approche frôle l’indécence.
Avec Omar-Jo, son manège à lui, Anne Kessler poursuit au Studio-Théâtre une exploration qu’elle avait entamée en 2008 avec Trois hommes dans un salon. Dans les deux cas en effet, la sociétaire de la Comédie-Française met en scène un autre medium : la radio, en donnant corps et vie à ce qui demeure d’habitude dans le secret des équipes fabriquant les émissions et de leurs invités. Dans la première pièce, il s’agit d’offrir une existence nouvelle à une archive radiophonique exceptionnelle, un entretien avec Georges Brassens, Jacques Brel et Léo Ferré. Le second spectacle part d’une base tout autre : un roman de l’autrice franco-syro-libanaise Andrée Chédid (1920-2011), L’Enfant multiple (1989). Adapter un roman au théâtre s’avère d’autant plus périlleux lorsque le théâtre veut se faire passer pour un studio d’enregistrement de podcast, qui plus est dans un cadre – l’une des salles de la Comédie-Française – où ce stratagème n’a aucune chance de prendre. Le sujet de l’œuvre placée par Anne Kessler au cœur de cette illusion de théâtre radiophonique ne facilite guère l’entreprise déjà délicate. Soit l’histoire du jeune Omar-Jo, qui après avoir perdu ses parents ainsi qu’un bras dans un attentat en pleine guerre civile au Liban, se retrouve à Paris où il lie amitié avec un forain qui tient un manège. Pour faire honneur à cette fiction peuplée d’êtres meurtris par l’Histoire, il eût fallu un récit-cadre à la hauteur de ses enjeux. Ce qui est loin d’être le cas dans Omar-Jo, son manège à lui, dont le texte signé par Guy Zilberstein neutralise le récit d’origine sans rien créer de neuf.
Le monde vu depuis un studio
Dans la pièce mise en scène par Anne Kessler, L’Enfant multiple existe avant tout par les questions qu’il pose à ses protagonistes : l’équipe de réalisation d’une série de podcasts intitulée Les Enfants de la guerre, composée d’une réalisatrice interprétée par Claire de La Rüe du Can, d’un ingénieur du son (Dominique Parent) et d’un comédien (Baptiste Chabauty). L’histoire d’Omar-Jo, née de l’imagination d’Andrée Chédid, a-t-elle sa place dans une émission présentée comme documentaire, se demande le petit groupe ? L’interrogation contourne le problème qui aurait mérité d’être au cœur du spectacle : la possibilité pour les artistes et journalistes d’ici de dire des histoires d’ailleurs avec justesse, sans verser dans l’appropriation ni dans une complaisance facile. Ressassant leurs doutes au cours d’un semblant d’enregistrement qui n’en finit pas d’être interrompu, les trois protagonistes n’offrent au texte d’Andrée Chédid qu’une place assez anecdotique. En plus d’apparaître comme artificiels, dépourvus de raisons véritables, les tensions et désaccords qui opposent les membres de l’équipe soulignent la grande distance qui sépare celle-ci du monde décrit dans L’Enfant multiple. Clos sur lui-même avec ses formules intellectuelles, le petit monde confortable du studio déploie un entêtement à s’emparer des vies inventées qui frise l’indécence. Car s’il épilogue sur les relations entre fiction et réalité, le théâtre d’Anne Kesler et Guy Zilberstein néglige de mettre en examen ses propres possibilités et ses limites.
Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Omar-Jo, son manège à luidu samedi 21 septembre 2024 au dimanche 3 novembre 2024
Comédie-Française / Studio-Théâtre
99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre, 75001 Paris
du mercredi au dimanche à 18h30. Tel : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr. Durée : 1h15