La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Alain Ollivier

Alain Ollivier - Critique sortie Théâtre
Crédit visuel Alain Ollivier : Brigitte Enguerand

Publié le 10 octobre 2007

Le Cid ou l’entrée de l’Histoire sur la scène du théâtre français

A la veille de quitter ses fonctions de directeur du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, Alain Ollivier investit Le Cid de Pierre Corneille. Un classique que le metteur en scène a souhaité replacer dans son siècle, celui de Louis XIII, rejetant toute idée de figuration contemporaine.

Quelles sont, selon vous, les raisons qui ont contribué à faire du Cid une pièce fondatrice du théâtre français ?
 
Alain Ollivier : Comme le dit Jean Racine, Le Cid est née à un moment crucial de l’histoire du théâtre de langue française. Il dit qu’avant Pierre Corneille notre théâtre se situait dans une sorte de chaos, où l’art était totalement impur. Ce n’est pas tout à fait exact, il existe des œuvres, comme le théâtre de Robert Garnier, qui sont de grandes œuvres. Mais Le Cid a été écrite en 1636, une période très particulière de l’Histoire de France. Tout d’abord, la famille royale traverse alors de très grandes difficultés : la noblesse conteste son autorité, les frontières du pays sont menacées… Et puis, cette pièce fait suite au long combat ayant imposé le français comme langue officielle. Cela, après l’ordonnance de Villers-Cotterêts et l’émergence des poètes de La Pléiade, qui ont définitivement fait sortir les arts littéraires de la pratique du latin. Le Cid arrive donc à ce moment éclatant de la constitution de notre langue, qui est aussi le moment où le théâtre devient le lieu de l’expression littéraire la plus avancée.
 
Cette pièce est également l’une des premières à mettre en scène l’Histoire…
 
A. O. : Oui, avec Le Cid, l’Histoire fait son entrée sur la scène du théâtre français, et avec elle le Politique. Cela, à travers la question du duel, qui agite énormément la noblesse française du XVIIème siècle. Car, avant l’interdiction du duel, l’aristocratie possédait le privilège de se faire justice soi-même. Le Cid est une pièce très ancrée dans l’actualité politique et culturelle de son temps. Et c’est sans doute cela qui lui a assuré le succès phénoménal qu’elle a connu dès sa création. La conduite de Rodrigue et de Chimène est très chevaleresque, elle se fonde dans la tradition du roman courtois. Ces deux jeunes gens font preuve d’une intelligence du cœur très élevée. La noblesse du XVIIème siècle vivait dans cet état d’esprit-là. Rodrigue et Chimène donnent corps à une forme d’héroïsme qui ignore totalement la mélancolie. C’est l’envers du romantisme. Ils souffrent, mais ils ne se laissent jamais aller à la dépression.
 
Quel travail avez-vous effectué sur la langue, sur l’alexandrin ?
 
A. O. : Le Cid est écrite dans une langue extrêmement claire, elle présente très peu de problèmes de compréhension. Ce n’est pas du tout une langue archaïque, et c’est ce qui contribue aussi à sa formidable pérennité.
 
« Je ne considère pas du tout l’alexandrin comme une forme d’un autre âge.  »
 
Nous avons donc travaillé à faire entendre cette clarté, en nous efforçant d’être tout à fait précis sur la composition syntaxique. Si ce n’est pas le cas, on ne peut pas saisir la respiration juste du texte. Je ne considère pas du tout l’alexandrin comme une forme d’un autre âge. L’un des plus beaux poèmes de la langue française, Le Bateau ivre, est en alexandrins, Francis Ponge a lui aussi utilisé l’alexandrin… C’est une cadence et un rythme tout à fait appropriés à la phonétique et à l’accentuation de notre langue. L’alexandrin est aussi très présent dans notre prose : chez Flaubert, chez Proust… Je dirais donc qu’il est naturellement dans l’oreille des acteurs qui ont de l’oreille ! Il faut faire confiance à cette disposition naturelle.
 
Quel univers scénique avez-vous souhaité élaborer ?
 
A. O. : Dans Corneille, on n’a pas le temps d’installer plusieurs décors. Le rythme est trop vif pour supporter des interruptions. Il s’agit d’un théâtre tout à fait haletant. Nous avons donc conçu un espace scénique au sein duquel on puisse entrer et sortir dans une fluidité maximale. Tous les personnages sont vêtus de costumes Louis XIII. Je ne pense pas que ce soit par des artifices de rapprochement que l’on puisse réduire ce qui est perçu comme l’éloignement d’une œuvre ancienne, mais bien plus, comme le pensait Roland Barthes, par un travail d’historicisation et, en fait, « d’éloignement ». Bien sûr, il n’est pour autant pas question de s’engager dans des reconstructions archéologiques.
 
Après six années passées à la direction du Théâtre Gérard-Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis, quel regard portez-vous sur le paysage théâtral français ?
 
A. O. : Il est urgent que les politiques et leurs adjoints entreprennent un travail de réflexion sur les notions d’art et de culture. On associe désormais constamment les deux, ne sachant plus si l’on parle de l’un ou de l’autre. De ce fait, on parle plus aisément de « culture » alors qu’il est question d’art. Presque plus jamais d’art, sans l’adjonction « culture ». Pour ce qui concerne le théâtre, il n’y a pas d’effet de culture possible, s’il n’y a pas d’art sur scène. Et si l’on se préoccupe d’abord de « culturel », l’expérience montre qu’on s’active dans le « moyen », de là très facilement dans la médiocrité, et quand on en est là, on est dans le populisme que l’on défend au nom de la culture. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire dans l’éditorial de la programmation 2007/2008 du Théâtre Gérard-Philipe, les Centres dramatiques nationaux de banlieue — qui sont soumis à la rude compétition de la créativité scénique de la capitale, et qui doivent convaincre des publics très difficiles à unifier et à rassembler en raison de leurs multiples différenciations culturelles — travaillent aujourd’hui avec des moyens budgétaires inférieurs à ce qu’ils devraient être. Cette réalité objective devrait faire l’objet d’un examen attentif.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Le Cid, de Pierre Corneille ; mise en scène d’Alain Ollivier. Du 15 octobre au 15 novembre 2007. Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 16h00. Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, 59, boulevard Jules Guesde, 93207 Saint-Denis. Renseignements et réservations au 01 48 13 70 00.
En tournée à la Comédie de Béthune les 29, 30 et 31 janvier ; Et à l’Onde de Vélizy le 2 février 2008.

A propos de l'événement


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