La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien Joël Dragutin
Petits voyages au bout de la rue : sept personnages en quête de sens

La superstar de la musique balkanique dans l’intimité d’une salle francilienne.

Publié le 10 mars 2007 - N° 146

Au bout de la rue, la petite école où chantent ensemble quatre femmes et
trois hommes, réunis en chorale de quartier. Si l’alibi est musical, le but est
ailleurs, dans les retrouvailles avec l’autre, le réel et le commun. Joël
Dragutin continue, avec tendresse et malice, sa route d’entomologiste de la
modernité.

Qui sont les personnages de cette nouvelle pièce ?

Joël Dragutin : La pièce se déroule sur une saison de chorale, de
septembre à juin. Les sept personnages qui la composent sont issus de la classe
moyenne, ont entre trente et cinquante ans. Ils ne font pas partie des minorités
visibles, ne sont pas repérés par les médias comme des gens à problèmes car les
problèmes qu’ils ont ne sont pas traités par les médias. Ils ont un travail et
un logement mais souffrent d’un malaise profond car leurs vies manquent de sens.
Ils décident alors de redémarrer de façon minimaliste, en chantant.

Vous dites que pour eux, la musique est un alibi.

J. D. : Les séances sont constamment interrompues : ils parlent,
s’interrogent sans avoir les mots du sens. A travers cet espace à sept qu’ils
créent, ils parviennent à réinventer le collectif. Ils seraient incapables de se
réunir pour se réunir. D’où l’alibi d’une chorale, mais leur demande est bien
au-delà ! A la fin, ils ne sont pas sauvés mais sont plus lucides. Ils
s’aperçoivent qu’ils ne sont pas seuls à souffrir ou à se questionner. Ça leur a
fait du bien. Ça ne change rien à leur vie mais ils en sortent plus humains,
plus fraternels, plus intelligents, plus capables d’humour et d’écoute.

« C’est un petit conte d’aujourd’hui qui peut se lire à tous les
niveaux. »

Votre regard sur vos contemporains est-il en train de changer, d’être moins
caustique ?

J. D. : Par rapport à mes pièces précédentes, où les personnages étaient
parlés plus qu’ils ne parlaient, quelque chose de plus vrai apparaît à travers
ceux-là, quelque chose de plus désemparé mais aussi de plus authentique. Après
avoir longtemps stigmatisé les gens qui leur ressemblent dans mes pièces, je les
traite aujourd’hui avec davantage de bienveillance et de tendresse : non pas
avec angélisme, mais avec plus d’optimisme. Ils font peu de politique et suivent
ça comme un jeu vidéo à la télé. En même temps, ils se sentent coupables, à la
fois en consommant et en ne consommant pas assez, et dépassés par des phénomènes
sur lesquels ils n?ont aucune prise comme la mondialisation ou le réchauffement
de la planète. Adhérer à un parti leur semble trop abstrait et le discours
politique conventionnel, à la fois trop spectaculaire, trop programmatique et
trop globalisant, ne les touche plus. Ils ne sont pourtant ni poujadistes ni
apolitiques, mais seulement désintéressés par ce qui n?est pas à leur niveau.
Ils ne peuvent donc participer qu’à des événements concrets, ponctuels, comme se
battre quand ils découvrent que l’école dans laquelle ils répètent va être
rasée. C’est un petit conte d’aujourd’hui qui peut se lire à tous les niveaux et
affirme qu’il vaut mieux vivre douloureusement dans le désenchantement que dans
l’euphorie illusoire. Peut-être ces personnages reconstitueront-ils les bases
d’une société nouvelle? Je ne sais pas. Les réponses sont aujourd’hui
paradoxales et éphémères. Il faut en accepter la complexité?

Propos recueillis par Catherine Robert

Petits voyages au bout de la rue, texte et mise en scène de Joël Dragutin.
Du 20 mars au 7 avril 2007 à 21h. Relâche le lundi et le dimanche 1er avril.
Théâtre 95, allée du Théâtre, 95000 Cergy. Réservations au 01 30 38 11 99.

A propos de l'événement


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