Adel Hakim / Perseverare diabolicum…
TQI - Studio Casanova / Uruguay Trilogie / de Gabriel Calderón / mes Adel Hakim
Publié le 25 septembre 2014 - N° 224Adel Hakim et Gabriel Calderón persistent dans l’insolence ! Le directeur du TQI met en scène Ore, en alternance, dans le même décor et avec les mêmes acteurs, avec Ouz, codirigé avec le jeune Uruguayen, et présente la création en France de Mi Muñequita, avec les Chiliens de la compagnie La Mala Nueva.
Pourquoi cette reprise de la double création de 2013 ?
Adel Hakim : Je ne voulais pas que nous nous contentions de l’événement de 2013. Il était important de reprendre ces spectacles, malgré, et peut-être à cause de la controverse qu’ils avaient suscitée. Les avis avaient été très affirmés de part et d’autre, pour et contre. Quand le théâtre fait que les gens en parlent, quand apparaît un regard différent sur le théâtre, il est important de persister.
« Le sérieux n’a pas le monopole de la compréhension. »
Pourquoi le théâtre de Gabriel Calderón provoque-t-il la polémique ?
A. H. : Calderón a une vision insolente et subversive du théâtre et de la société, et son écriture est une grande écriture. Ses pièces, extrêmement construites, parlent de l’extrémisme, de la violence, de l’aveuglement de la foi, du retour des militaires après la dictature. Dans Ore, il montre que la société libérale a toujours besoin d’un ennemi : sa drôlerie extraterrestre suggère que notre société cherche toujours quelqu’un contre qui combattre. Or, faut-il rappeler qu’aujourd’hui, nous sommes en guerre ? On n’essaie pas de résoudre les problèmes : c’est comme si l’humanité ne pouvait pas se passer de la guerre. Quant à Ouz, elle évoque la foi irrationnelle d’un village qui tue une petite fille parce que Dieu le réclame, alors qu’il s’agit d’une manipulation.
Tragédie ou comédie ?
A. H. : Le fondement est tragique, car les personnages vivent des tragédies. Mais le talent de Gabriel Calderón est de nous faire rire avec ça. L’excès nous fait à la fois comprendre les choses et prendre de la distance avec elles. Le rire nous fait comprendre les choses autant que la tragédie. Le sérieux n’a pas le monopole de la compréhension. Cette association entre rire et tragédie fait l’insolence de Calderón, qui nous fait rire de ce qui nous terrifie. Or, il ne suffit pas d’être terrifié, le rire n’amoindrit pas la compréhension, au contraire !
Vous présentez également, en alternance, Mi Muñequita, du même auteur.
A. H. : En 2013, j’ai été invité par le Théâtre National Chilien à Santiago, pour monter Ouz. C’est d’ailleurs à la sortie d’une représentation de Ouz que j’ai entendu un spectateur assez âgé, que je ne connaissais pas, s’exclamer « Que c’est bon l’insolence ! » J’ai trouvé très positif que ça vienne d’un spectateur chilien : on se demandait si la thématique de la religion n’allait pas déranger, dans un pays où elle est tellement importante. Quand mes amis de la compagnie Mala Nueva ont appris que j’étais au Chili, ils m’ont demandé de les mettre en scène dans Mi Muñequita. J’ai fait les deux mises en scène en parallèle. Les acteurs de la Mala Nueva ont été mes élèves de théâtre à l’Université Catholique de Santiago, entre 1998 et 2012. Nous avons travaillé dans des conditions assez précaires. Au Chili, les conditions de vie des acteurs sont difficiles, ils sont obligés de travailler en dehors du théâtre. Nous avons monté la pièce sans un sou, avec rien ; ils ont fabriqué la scénographie, les décors, ont répété sans être payés ; et nous avons présenté la pièce au Théâtre Sidarte de Santiago. Le résultat était étonnant ! J’ai jugé qu’il fallait intégrer ce spectacle à la reprise de Ouz et Ore.
Que raconte cette pièce ?
A. H. : Encore une histoire de famille : celle d’une gamine complètement folle qui revit son passé à travers son double, une poupée incarnée par une actrice. Abus sexuels, règlements de compte et meurtres, mais racontés en musique ; une sorte de tragédie musicale… Il faut beaucoup de talent pour jouer cette pièce qui n’est pas très longue, mais extrêmement intense. Calderón raconte la tragédie du monde à travers des histoires de famille, avec une tension hystérique dans son écriture qui est l’exact décalque de l’hystérie de la société contemporaine.
Diriez-vous que ce théâtre est un théâtre à thèse ?
A. H. : Le bon théâtre ne porte pas nécessairement de message, mais il est bon quand il fait réfléchir le spectateur. Le théâtre de Gabriel Calderón est un miroir où on finit par se reconnaître, d’une manière ou d’une autre. C’est cela qui compte, davantage qu’un jugement de valeur porté sur le monde.
Propos recueillis par Catherine Robert
A propos de l'événement
Uruguay Trilogiedu lundi 29 septembre 2014 au dimanche 19 octobre 2014
Studio Casanova
69 Avenue Danielle Casanova, 94200 Ivry-sur-Seine, France
Ouz (le Village), Ore (Peut-être la vie est-elle ridicule ?) et Mi Muñequita (Ma petite poupée). En alternance : du lundi au vendredi à 19h et 21h ; samedi à 18h et 20h ; dimanche à 15h et 17h (renseignements sur www.theatre-quartiers-ivry.com). Tél. : 01 43 90 11 11. A noter, Chiapas : le feu et la parole, exposition des peintures de Beatriz Aurora, rencontres et lecture, autour d’Uruguay Trilogie (informations sur le site du TQI).