La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien Christophe Rousset

MEDEE EN ETAT DE CHOC

MEDEE EN ETAT DE CHOC - Critique sortie Classique / Opéra Paris Théâtre des Champs-Élysées
© Eric Larrayadieu

Nouvelle production à Paris / Théâtre des Champs-Elysées

Publié le 22 novembre 2012 - N° 204

En conclusion de son cycle « Médée », le Théâtre des Champs-Elysées présente pour la première fois à Paris cette production sulfureuse qui voyait le jour en 2008 au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. La Médée de Cherubini, opéra préromantique par excellence et sommet créatif du compositeur, se réinvente ici dans les regards passionnés que portent le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski sur son inquiétante héroïne et le chef d’orchestre Christophe Rousset sur une partition visionnaire aux accents presque beethovéniens. 

« L’amour de cette œuvre et l’envie de la faire vibrer. »

Quelle impression gardez-vous de cette production qui fait aujourd’hui ses débuts à Paris, après une création en 2008 à Bruxelles, puis une reprise il y a un an, toujours à La Monnaie ?

Christophe Rousset : D’abord le choc de cette musique violente qui, bien qu’écrite avant 1800, n’a plus du tout de saveur ni de structure issues du baroque mais regarde clairement vers l’avenir, préfigurant manifestement le symphonisme de Beethoven et une vocalité romantique. Le deuxième choc fut celui de travailler avec des chanteurs wagnériens qui sont d’autres phénomènes que les chanteurs avec lesquels j’avais été amené  à travailler jusqu’alors…

Que retenez-vous de la collaboration avec Krzysztof Warlikowski ?

C. R. : Krzysztof est un être fascinant, il met en oeuvre une vision des choses, des êtres, des situations dramatiques. Il ne s’agit pas pour lui de faire de banales transpositions dont le « Regietheater » allemand est coutumier, mais de revisiter une œuvre par ce qu’il y voit. Puis, évidemment, il modifie ses théories pour s’adapter aux interprètes qu’il a à sa disposition et faire évoluer son concept vers plus d’humanité. Ainsi la version de 2008 et celle de 2011 étaient assez différentes dramaturgiquement par les changements de distribution. Le personnage de Médée par Warlikowski n’est pas un monstre, elle est une femme souffrante, qui se résout à l’atrocité dans un paroxysme de douleur qui l’aveugle. C’est ce en quoi cette mise en scène trouble profondément.

Qu’avez-vous en commun avec lui ?

C. R. : L’amour de cette œuvre et l’envie de la faire vibrer. Mon attitude en général dans le cas d’un opéra mis en scène, c’est d’épouser la vision du metteur en scène même si je ne comprends (ou ne partage) pas tous ses enjeux. Les moments d’exaltation créatrice de Krzysztof sont impressionnants et très touchants d’ingénuité. Je suis interprète, et j’ai certainement ma vision et ma conception de l’œuvre, mais le créateur c’est le metteur en scène, et les chefs d’orchestre qui se mettent à la mise en scène me font sourire par la pauvreté de leur propos : à chacun sa place !

L’ouvrage, créé à Paris en 1797, sonne par sa puissance dramatique comme en avance sur son temps…

C. R. : C’est un opéra romantique qui cependant demeure encore dans la lignée de Gluck et encore plus de Sacchini dont je viens de diriger le Renaud. Cette tragédie, en bien des endroits, m’a fait penser combien Cherubini lui était redevable. Il faut noter la présence de quatre cors et de trombones mais l’absence totale de trompettes, ce qui donne à l’œuvre une noirceur et une tonalité vraiment distinctives. À part le rôle-titre, les autres parties vocales se confrontent à la protagoniste mais ne bénéficient pas d’un traitement psychologique très net. Il se produit un effet magnétique vers cette figure de femme trahie, de mère éplorée, de traîtresse repentante, de déracinée sans repères. Les autres la traquent, l’humilient, la rejettent, et pour finir la pousseront à l’irréparable. Les airs de Médée sont des airs tendres, les ensembles en revanche la placent dans l’adversité et c’est là que la violence de l’expression trouve sa place. La forme est aussi hypertrophiée au point que Cherubini lui-même, à qui on reprochait la durée de son chef-d’œuvre, a dû procéder à de nombreuses coupes. Il faut également parler de l’aspect symphonique : l’orchestre est un des protagonistes du drame, c’est vraiment explicite dans les préludes des 2ème et 3ème actes. Il s’agit de dépeindre un état psychologique par la seule musique, c’est d’ailleurs aussi pourquoi Cherubini ira jusqu’à utiliser le procédé du « mélodrame » (à savoir la voix parlée associée à l’orchestre) pour des passages particulièrement tourmentés du calvaire de Médée à Corinthe. 

 

Propos recueillis par Jean Lukas

A propos de l'événement

MEDEE
du lundi 10 décembre 2012 au dimanche 16 décembre 2012
Théâtre des Champs-Élysées
15 Avenue Montaigne, 75008 Paris

Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 10, mercredi 12, vendredi 14 décembre à 19h30, dimanche 16 à 17 h. Avec Nadja Michael (Médée), John Tessier (Jason), Elodie Kimmel (Dircé), Vincent Le Texier (Créon), Varduhi Abrahamyan (Néris), Ekaterina Isachenko et Anne-Fleur Inizan  (servantes), Les Talens Lyriques et le Chœur de Radio France (direction Stéphane Petitjean).
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