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L’auteure et metteuse en scène Angelica Liddell se dévoile en quête de l’amour vrai.
C’était à Venise, il y a maintenant cinq ans. Angelica Liddell achevait d’écrire La Maison de la force, œuvre qui allait la révéler en France, au Festival d’Avignon. Serrée au creux de l’hiver glacé, elle marchait dans la ville, tandis que la faucheuse rôdait dans ses pensées. Brûlant ses plaies à l’acide chaud des mots, elle jetait sa hargne de femme humiliée à l’encre noire. « J’ai utilisé la poésie comme une arme, un pistolet que j’ai manié avec la rage d’un assassin » dit-elle aujourd’hui. Pour l’artiste espagnole, « Le théâtre n’est pas un laboratoire, il n’est pas lié à une recherche mais à l’expérience, à la vie ». C’est en creusant la chair vive de ses blessures, en suçant la sève amère de ses révoltes, qu’elle extrait matière à création. You are my destiny fait écho à son retour dans la cité lacustre, en 2013, pour recevoir le Lion d’argent de la Biennale. Elle travaillait alors à l’écriture d’une pièce sur le désir et le pouvoir du sexe sur la volonté, cherchant à comprendre Tarquin, fornicateur assassin du Viol de Lucrèce, de Shakespeare. Et voilà qu’« rayon de lumière s’est mis à jaillir de la blessure. Ils étaient là : douze Tarquins à la générosité incommensurable », raconte-t-elle à propos des comédiens qui répétaient avec elle. C’est ainsi que peu à peu elle s’éprit du bourreau et rêva une histoire d’amour jusqu’au-delà de la mort.
Rédemption
« Je ne supporte pas que Lucrèce soit utilisée comme un symbole de vertu parce qu’elle s’est suicidée. C’est la société, cette mercerie bourrée de femmes vertueuses dont il est question dans la pièce, qui la suicide. Pourquoi une femme devrait-elle être vertueuse ? » lâche-t-elle. Atrabilaire passionnée, performeuse volcanique, l’auteure et metteuse en scène espagnole revendique ici l’ambiguïté du désir. Elle révèle aussi sa quête de l’amour vrai, presque mystique, qu’incarne la figure d’un fossoyeur. « À quoi bon te connaître seulement maintenant, alors qu’il n’y a plus de bonheur sans ténèbres et que ma chair tombe en lambeaux, c’est comme vouloir nettoyer l’herbe d’une prairie couverte de cendres à l’aide du pauvre souffle de nos poumons épuisés par Dieu et par le diable. » écrit-elle, libérant dans le souffle du verbe tout l’élan d’une âme tourmentée.
Gwénola David
Du 3 au 14 décembre 2014, à 20h, sauf dimanche à 15h, relâche lundi. Tél. : 01 44 85 40 40. En espagnol et italien, surtitré. Dans le cadre du Festival d’Automne. Texte publié aux éditions Les solitaires intempestifs.
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