La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Valérie Grail

Valérie Grail - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 avril 2012 - N° 197

Une pièce prémonitoire

En résidence à Rosny-sous-Bois, Valérie Grail et la compagnie Italique montent Les Travaux et les Jours du grand dramaturge Michel Vinaver. Les mutations économiques et techniques frappent de plein fouet les employés de la Maison Cosson, et bouleversent les relations humaines.

« L’intime et le professionnel sont sans arrêt mêlés, et c’est ce qui fait la beauté du texte. »

Qu’est-ce qui vous a déterminé à mettre en scène ce texte de Michel Vinaver ?

Valérie Grail : Il y a vraiment très longtemps que je veux monter ce texte, mais je suis finalement reconnaissante d’avoir dû attendre pour le faire. J’ai aujourd’hui l’expérience nécessaire, et ce délai a permis aussi de bien mesurer et mettre en lumière les résonances entre hier et aujourd’hui. C’est un texte très difficile, avec lequel il faut déterminer un angle d’attaque pour respecter la musicalité et l’exigence de l’écriture, pour donner vie aux personnages dans leur quotidien et garantir une liberté aux comédiens, afin que le spectateur comprenne clairement l’histoire avec son humour et sa gravité. Il est frappant de constater à quel point cette pièce écrite en 1977 s’avère  prémonitoire. On se replonge dans ces années au charme vintage, et on se retrouve au cœur de bouleversements dont on mesure concrètement les conséquences trente ans plus tard. La pièce montre à quel moment et comment les conditions de travail ont été bouleversées, à quel moment et comment les relations entre l’entreprise, ses dirigeants, ses employés et ses clients se sont déshumanisées. La question de la valorisation du travail par les relations humaines est essentielle, or la course à l’efficacité et à la rentabilité remet en cause les liens affectifs, devenus encombrants, faisant perdre du temps alors qu’il faut en gagner. La pièce n’a pas pris une ride et met en perspective de façon remarquable ces questions économiques. 

Quel est le cadre de l’histoire ?

V. G. : La pièce a lieu à un moment charnière de notre histoire économique et sociale, alors que les petites entreprises sont absorbées par les plus grosses. La Maison Cosson, entreprise familiale très réputée, est rachetée par le groupe Beaumoulin, qui met en œuvre de nouvelles techniques de management. C’est un rachat de prestige, qui permet au groupe de maîtriser ce qui se passe chez les concurrents, pour avoir la main. PDG de Gillette France jusqu’en 1978, Michel Vinaver a vécu comme aucun autre artiste le fonctionnement des rouages économiques, il part du réel mais son talent littéraire, qui a marqué des générations d’auteurs contemporains, dépasse le réel. On est loin du documentaire, dans une écriture d’auteur caractérisée par l’humour, la cruauté et la vérité. C’est absolument vrai, et ce n’est absolument pas réaliste !

Les mutations techniques bouleversent aussi le lien au travail…

V. G. : L’arrivée des ordinateurs change tout ! Et l’adaptation n’a pas été facile pour tout le monde. Il fallait des jeunes dans les équipes aussi pour cette raison-là. Michel Vinaver souligne que la virtualisation du travail est un facteur déterminant de la déshumanisation de l’entreprise.

Qui sont les protagonistes ?

V. G. : Ils appartiennent au service après-vente de la maison Cosson, où chaque client a sa fiche manuscrite dont on se rappelle : le moulin à café Cosson peut durer 20 ans ! Anne et Nicole gèrent par téléphone et courrier la relation aux clients. Yvette les rejoint, elle apporte sa jeunesse et sa séduction. Guillermo, réparateur de génie, voue une passion aux moulins à café Cosson. Il était lié à Nicole mais lui et Yvette tombent amoureux l’un de l’autre. Le chef de service Jaudouard règne sur ce petit monde. Une bande son composée à partir des répétitions par Stefano Genovese, avec qui nous travaillons depuis dix ans, s’intègre à la partition de ces cinq héros du quotidien. Les relations affectives structurées depuis des années volent en éclats. L’intime et le professionnel sont sans arrêt mêlés, et c’est ce qui fait la beauté du texte.

Propos recueillis par Agnès Santi


Les Travaux et les Jours de Michel Vinaver, mise en scène Valérie Grail, le 13 avril à 21h au Théâtre Jean Vilar de Vitry. Tél : 01 55 53 10 60. Du 25 avril au 2 juin, du mardi au samedi à 21h30, au théâtre Le Lucernaire, 75006 Paris. Tél : 01 42 22 26 50.

A propos de l'événement


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