La célèbre actrice Eleonora Duse mise à l’honneur au cinéma
Avec dans le rôle-titre l’éblouissante et [...]
Sortie nationale le 14 janvier - entretien
Valeri Bruni Tedeschi incarne le rôle-titre du très beau film réalisé par Pietro Marcello, portrait d’une femme, d’une actrice, au cœur d’une époque qui bascule vers le fascisme. Méconnue en France, admirée par Lee Strasberg et Stanislavski, l’exceptionnelle comédienne Eleonora Duse (1858-1924) transforma l’art de l’acteur. Alors que la fin approche, elle remonte sur scène.
Qui est Eleonora Duse ?
Valeria Bruni Tedeschi : Peu connue en France, sans doute à cause de la figure de sa rivale Sarah Bernhardt, Eleonora Duse fait partie de l’imaginaire collectif en Italie, où elle inspire beaucoup de tendresse. Admirée par Lee Strasberg, Stanislavski, Pirandello, Rilke et beaucoup d’autres, elle fut une pionnière qui révolutionna l’art de l’acteur, une icône de l’Actor’s Studio, avec comme seule et unique obsession la vérité. Son nom est cité dans La Mouette de Tchekhov ! Puisqu’il n’existe aucun témoignage direct de son art, nous nous sommes appuyés sur son abondante correspondance – celle avec sa fille notamment, très belle –, sur une biographie de Helen Sheehy, sur des témoignages indirects. Mais le film n’est pas un biopic, nous convoquons plutôt quelque chose qu’on a compris d’elle, de son art, de son esprit en proie à des conflits intérieurs douloureux, à une incapacité de vivre les histoires d’amour, à un moment tardif de sa vie, lorsque subsiste plutôt une forme d’amitié pour les hommes qu’elle a aimés. La Duse n’est en rien une star, elle est une femme qui doute, qui trace un cheminement empreint de sincérité et d’exigence. J’ai travaillé ce personnage comme si je l’avais rencontré dans un train, qu’elle m’avait parlé d’elle et que je la comprenais. Mon travail me permet de faire des rencontres, et grâce à ce film, j’ai rencontré cette femme.
Pietro Marcello a immédiatement pensé à vous pour ce rôle. Comment analysez-vous son approche ?
V. B.-T.: Pietro est devenu un ami. Il y a des metteurs en scène poètes, des metteurs en scène écrivains, et des metteurs en scène peintres. Pour moi Pietro c’est un metteur en scène peintre, qui déploie un très beau rapport au temps, à l’espace. Attaché à une vision politique du cinéma, il entrelace dans ce film la petite histoire et la grande Histoire, explorant les rapports entre l’art et le pouvoir. On voit comment le fascisme parvient à récupérer des artistes, comment ceux-ci – le poète Gabriele d’Annunzio, la Duse – se laissent récupérer par le pouvoir. Parmi les images d’archives que Pietro utilise reviennent de manière récurrente celles du train qui transporte la dépouille du soldat italien inconnu. C’est un film sur la mort, ou plutôt sur la vie, très forte, juste avant la mort, qui laisse cours à un grand feu artistique, un grand feu humain, et à une immense empathie qui regarde l’autre. La Duse est entourée de beaux personnages, très humains, même dans leurs égarements. Le film aurait pu s’intituler
Aimez-vous autant le théâtre que le cinéma ?
V. B.-T. : Le cinéma est moins angoissant, plus facile pour moi. Je ressens plus de peur au théâtre, et peut-être moins de gaieté. Mais c’est très important pour moi de revenir régulièrement au théâtre, qui est l’origine de mon travail. Je suis heureuse de faire connaître en France La Duse, actrice et femme exceptionnelle, qui me paraît être à l’opposé de Sarah Bernhardt. Autant Sarah Bernhardt jouait sur sa force autant la Duse jouait sur sa fragilité, autant Sarah Bernhardt fabriquait sa carrière autant la Duse cherchait la vérité. Inlassablement, et sans orgueil.
Propos recueillis par Agnès Santi