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Théâtre - Critique

Unissant théâtre et cinéma, Christiane Jatahy adapte « Hamlet », une partition disparate

Unissant théâtre et cinéma, Christiane Jatahy adapte « Hamlet », une partition disparate - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe
© Simon Gosselin Clotilde Hesme dans Hamlet mis en scène par Christiane Jatahy

Odéon Théâtre de l’Europe / D’après Shakespeare / traduction Dorothée Zumstein / mise en scène, adaptation et scénographie de Christiane Jatahy

Publié le 15 mars 2024 - N° 319

Après avoir notamment adapté Mademoiselle Julie de Strindberg, Les Trois Sœurs de Tchekhov et Macbeth de Shakespeare, Christiane Jatahy s’empare d’Hamlet. Entrelaçant à nouveau théâtre et cinéma, elle réinvente une narration condensée et un espace de projections pluriel sans parvenir à créer une véritable épaisseur dramatique. 

Monument théâtral d’une profondeur inouïe, Hamlet donne corps à l’éprouvante révolte du jeune prince face au meurtre de son père par son oncle, qui épouse prestement sa mère. Les victuailles de l’enterrement sont servies froides au mariage, entend-on… Hamlet parvient-il – parvient-elle – à déchirer le voile d’hypocrisie qui recouvre le royaume corrompu ? Accablé par le meurtre de son père, tourmenté et obsédé par la vengeance exigée par le spectre de son père, le personnage d’Hamlet, fille ou garçon, n’est guère armé pour combattre le pouvoir, tandis que, fringants et virevoltants, Gertrude (Servane Ducorps) et Claudius (Matthieu Sampeur) sont tout à leurs réjouissances, dansant au son de musiques d’aujourd’hui. Dans la mise en scène de Christiane Jatahy, Hamlet est interprété par une femme (impressionnante Clotilde Hesme), un choix qui n’est pas nouveau (Sarah Bernhardt à la fin du XIXe siècle ou Anne Alvaro de nos jours ont elles aussi incarné Hamlet), mais qui est ici partie intégrante d’une relecture féministe de la tragédie. Nous sommes au printemps 2024, dans un appartement moderne et spacieux habité de fantômes. Conscient du passé, Hamlet s’y confronte et le revit avec un entêtement angoissé comme pour le conjurer, en interrogeant naïvement l’impact de ses choix, notamment sur le lien à sa mère ou sur la violence. « Fallait-il vraiment être cruelle pour être juste ? » L’enjeu féministe apparaît dans le traitement des personnages de Gertrude, très présente, et d’Ophélie (Isabel Abreu), devenue voix de toutes les femmes victimes de la violence des hommes (la figure paternelle de Polonius (Tonan Quito) demeure, tandis que Laërte, frère d’Ophélie, n’apparaît que quelques minutes, à l’écran, juste avant de mourir).

Artifice et sophistication

Avec ce parti pris de retour et de regard sur l’accompli qui facilite la réinvention – environ 85% du texte est celui de Shakespeare, dans une traduction de Dorothée Zumstein -, l’artiste brésilienne affirme ici comme dans nombre de ses pièces sa volonté de créer grâce au théâtre un horizon utopique qui se nourrit du passé pour transformer le présent. Elle échoue cependant à créer une cohérence : l’incarnation quoique servie par de bons comédiens laisse place à l’avancée du présent de manière trop artificielle, l’articulation entre personnage et personne défait l’un et l’autre de leur densité dramatique, et de toute émotion. Ouvert au rêve et au réel, à l’image et au verbe, le bel édifice sophistiqué construit par la metteure en scène assemble une multiplicité d’outils et d’effets, d’espaces de projection, mais cet artifice ne réussit pas à laisser émerger la puissance trouble de l’implicite, à faire résonner et se répondre les doutes et les visions contradictoires, à questionner ici et maintenant la violence de la tragédie. Seul le sublime monologue d’Hamlet se niche au creux de nos cœurs, dans une adresse qui invite à relier concrètement la pensée et l’action (l’époque en a bien besoin !). « Être ou ne pas être » appelle un corollaire politique autant qu’intime : agir ou ne pas agir…

Agnès Santi

A propos de l'événement

Hamlet
du mardi 5 mars 2024 au dimanche 14 avril 2024
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’odéon, 75006 Paris

du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. Tel : 01 44 85 40 40.

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