Je suis encore en vie
S’inspirant du combat et du meurtre de la [...]
De la convoitise à la violence puis à la folie du meurtre, Macbeth et sa Lady s’enfoncent dans leur destin comme dans une nuit sans sommeil, poussés par la fureur désespérée de l’ambition. La metteuse en scène Anne-Laure Liégeois s’aventure par les failles de l’intime au cœur de cette tragédie aux multiples facettes, révélant la contamination du chaos intérieur et de la sphère politique.
Anne-Laure Liégeois : Je vois en Macbeth une tragédie de l’imagination, plus que la personnification du mal. Valeureux et loyal guerrier, il a l’esprit fragile, hésite d’abord à trahir mais se laisse peu à peu gagner par la tentation du pouvoir, puis envahir par ses sombres fantasmes, jusqu’à vivre un cauchemar infini, une nuit noire peuplée de ses démons et des spectres de ses meurtres. Tout se joue dans sa tête. En proie à ses désirs, épuisé par ses passions, tiraillé par ses pulsions, Macbeth est pris d’hallucinations, qu’il tient pour vérités. S’ajoute la douleur de ne pas avoir d’enfant, c’est-à-dire pas de descendant à travers qui se perpétuer. Les sorcières, qui d’abord lui annoncent qu’il deviendra souverain puis qu’il ne périra pas tant que la forêt ne bougera pas, naissent de son imaginaire et sont l’incarnation de ses chimères. Il s’enfonce dans la maladie mentale, glisse dans la paranoïa, au point de perdre sa lucidité et de confondre la réalité et ses visions.
Quel jeu joue Lady Macbeth ?
A.-L. L. : C’est une femme paradoxale et peut-être sa folie naît-elle de ses contradictions. Elle incarne une féminité virile, mais au fond terriblement conformiste, qui croit que le désir brutal et la force déchaînée font un homme. Elle exhorte d’ailleurs maintes fois Macbeth à « être un homme », à entrer dans cet ordre du monde, et va jusqu’à mettre en scène pour lui le meurtre du roi et son camouflage. Elle le pousse à agir, lui qui certes rêvait bien du pouvoir mais sans le convoiter réellement. Elle refuse de rester parquée dans la sphère domestique sans pour autant oser agir elle-même, parce que l’action ne convient pas à son sexe. Les désordres de leur couple, leur confusion intime et les tumultes de leurs désirs contaminent la sphère politique et jettent le pays dans le chaos.
Comment mettre en scène ce théâtre intérieur ?
A.-L. L. : Shakespeare porte à l’incandescence les sentiments et use de tous les artifices du théâtre propre à la scène élisabéthaine. La puissance de sa langue est telle que tout ce qui est vu est créé par les mots, y compris donc les hallucinations. La scénographie dessine un carré cerné d’eau, comme un ring qui se resserre progressivement, à mesure que la folie enferme les personnages. Olivier Dutiloy et Anne Girouard forment un couple de combattants, assiégés par une jeunesse qui pousse pour prendre la place.
Entretien réalisé par Gwénola David
S’inspirant du combat et du meurtre de la [...]