La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Une longue peine

Une longue peine - Critique sortie Théâtre Paris Maison des Métallos
Une longue peine, par Didier Ruiz. Crédit : Emilia Stéfani

Maison des Métallos / Conception et mes Didier Ruiz

Publié le 28 décembre 2016 - N° 250

Selon son procédé de « parole accompagnée », déjà utilisé pour la création de plusieurs spectacles, Didier Ruiz met en scène des ex-détenus condamnés à de longues peines. Un théâtre du réel d’une grande humanité.

Ils ont fini par sortir. Après 14, 35 et 18 années de prison, Alain, André, Éric et Louis ont tant bien que mal réintégré la société. Pour se reconstruire, deux d’entre eux ont éprouvé le besoin d’écrire. De se réapproprier le langage qui, après la libération, était devenu inopérant. Incapable de traduire une quelconque réalité. T’en auras les reins brisés (EMCC, 2014), Retour à la case prison (Les Éditions ouvrières, 1990) et Le Coup de grâce (L’Atelier, 1995) témoignent d’une profonde réflexion sur le poids des mots et celui de l’enfermement. Avec Une longue peine, Didier Ruiz leur a permis de poursuivre leur travail de formulation d’une peine qui ne passe pas. Accompagnés d’Annette, compagne d’un homme détenu pendant 18 ans, ils y livrent leur expérience sur un plateau nu. Des plus brutes aux plus élaborées, leurs paroles donnent à entendre un monde à part, avec ses violences et ses règles. Ses espoirs et ses rires aussi, qui illuminent la scène aux moments les plus inattendus. Si le spectacle est sans doute pour eux une forme de thérapie, aucun des cinq ex-détenus du spectacle n’est sur scène pour se plaindre. Encore moins pour se justifier. Ils sont là pour être là, et surtout pour dire que l’endroit d’où ils parlent en vaut bien un autre.

Leçon d’immédiateté

Comme il le fait depuis une vingtaine d’années avec La compagnie des Hommes, Didier Ruiz s’efface entièrement derrière les personnes qu’il met en scène. Utilisée auprès de diverses populations – des personnes âgées dans Dale recuerdos, je pense à vous, ou encore des adolescents dans 2017 comme possible, sa technique de la « parole accompagnée » produit dans Une longue peine une sensation d’urgence du verbe et du théâtre rare sur les scènes contemporaines. Une immédiateté que l’on trouve aussi dans F(l)ammes de Ahmed Madani, où dix jeunes filles issues de quartiers populaires prennent la parole (voir notre critique n°249). Persuadé que le théâtre se régénère au contact de ce qui lui est étranger, Didier Ruiz est plus radical encore que Ahmed Madani dans sa transposition sur scène d’une parole marginalisée. Laissant ses interprètes construire leur récit comme ils le peuvent et comme ils l’entendent, le metteur en scène refuse d’imposer aux ex-détenus et à Annette des codes qui auraient alourdi leurs propos. Une belle leçon d’humilité, au service d’une tout aussi belle leçon de dignité. Loin d’exotiser une parole « différente », Didier Ruiz lui restitue ce qui lui est d’habitude nié : son universalité tout en contrastes. En contradictions.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Une longue peine
du mercredi 11 janvier 2017 au dimanche 15 janvier 2017
Maison des Métallos
94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris, France

du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 19h et le dimanche à 16h. Tel : 01 47 00 25 20.

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