La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Une écriture qui fait mal

Une écriture qui fait mal - Critique sortie Théâtre Nanterre Théâtre Nanterre-Amandiers
Crédit : DR Légende : Jean-Pierre Darroussin

Entretien / Jean-Pierre Darroussin
Théâtre Nanterre-Amandiers / Calme / de Lars Norén / mes Jean-Louis Martinelli

Publié le 22 janvier 2013 - N° 205

Dernière pièce d’une trilogie comprenant La Nuit est mère du jour et Le Chaos est voisin de Dieu, Calme met en jeu l’un des motifs dramaturgiques chers à Lars Norén : une famille en voie de délabrement. Sous la direction de Jean-Louis Martinelli, Jean-Pierre Darroussin interprète* un père alcoolique rongé par le poids de la culpabilité.

« Une écriture qui donne vie à des tragédies qui font mal parce qu’elles excluent toute forme d’héroïsme. »

Lars Norén dit que Calme est « un mélange de tout ce qui peut arriver dans une famille ». Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette pièce ?

Jean-Pierre Darroussin : Avant toute chose, il faut préciser que la famille dont il est question est très particulière. C’est une famille en état de délabrement avancé. Bien qu’ayant longtemps eu l’ambition d’être normale, elle a été, probablement, peu à peu gangrenée par l’alcoolisme du père. Je dis « probablement », car ce père est le personnage que j’interprète. Or, tout comme lui, j’ai tendance à vouloir nier cette responsabilité. Mais, objectivement, il faut pourtant admettre que c’est de sa faute si tout est ainsi parti à vau-l’eau. Inspirée de la famille de Lars Norén – même si ce dernier a du mal à l’avouer – cette famille n’est vraiment pas comme les autres : le père, donc, est alcoolique, la mère a un cancer, l’un des fils est schizophrène, le second, qui prétend être la seule personne normale, se révèle très violent

Quel portrait de ce père pourriez-vous dresser ?

J.-P. D. : Cette pièce se passe en Suède, un pays dans lequel la notion de normalité est placée au centre des valeurs éducatives, au centre de la société. Un pays dans lequel il est très difficile d’essayer d’inventer sa vie. Or, ce père avait des rêves. Il aurait aimé mener une existence beaucoup plus particulière, plus personnelle que celle qu’il a vécu. Si on devait lui chercher des excuses, on pourrait certainement en trouver dans le mal-être profond qui le ronge.

Que vous inspire l’écriture de Lars Norén ?

J.-P. D. : L’une des choses qui a toujours été au centre de mon intérêt pour le théâtre est la recherche de tragédies contemporaines, de tragédies perturbées par une forme de réalisme dérisoire, par des micro-événements réalistes qui viennent bousculer le déroulement de la tragédie : lorsque, tout à coup, on a affaire à quelque chose de pitoyable, à quelque chose qui fait mal. Pour moi, c’est un peu ça, l’écriture de Lars Norén, une écriture qui donne vie à des tragédies qui font mal parce qu’elles excluent toute forme d’héroïsme. On y retrouve mêlés quelque chose de l’ordre du naturalisme et une dimension profondément épique. Avec, évidemment, un flot poétique qui circule à l’intérieur de tout cela.

Qu’entendez-vous par flot poétique ?

J.-P. D. : Un abandon, de la part de l’auteur, aux mouvements de son inspiration, aux mouvements de sa fantaisie. Dans l’écriture de Lars Norén, comme souvent dans la poésie, les mots et le rythme des mots révèlent plusieurs sens, plusieurs possibilités d’entendement. A partir de là naît un débit qui est de l’ordre du torrent. Les personnages sont dans un flux verbal permanent, un flux qui produit quelque chose de pathétique. La poésie, elle, se niche dans les petits détails qui surgissent, qui forment des contrepoints souvent assez drôles. Comme les pièces de Tchekhov, les pièces de Lars Norén peuvent être envisagées soit comme des tragédies très sombres, soit comme des pièces assez drôles, assez grotesques.

Quelle relation entretenez-vous avec la scène ?

J.-P. D. : C’est assez ancien, comme relation ! Je ressens un attachement très profond pour la scène, pour le théâtre. Je sais que c’est pour moi une nécessité. Je suis un peu dans la position de quelqu’un qui vivrait en ville, mais qui sait qu’il a besoin, régulièrement, d’aller faire un tour du côté des arbres, de la nature, qu’il a besoin de se ressourcer. Il y a une grande rapidité au cinéma, quelque chose de très immédiat. C’est un sprint permanent qui peut vous amener à prendre l’habitude d’utiliser des trucs. Revenir régulièrement au théâtre permet de continuer à découvrir des choses de soi que l’on ne connaissait pas, permet de faire le point, de voir l’avancée de son travail. Le défi de se laisser contaminer par un univers, de se laisser envahir de l’intérieur par un personnage, est quelque chose de beaucoup plus sensible, de beaucoup plus engageant au théâtre qu’au cinéma.

* Aux côtés de Delphine Chuillot, Alban Guyon, Christiane Millet et Nicolas Pirson.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Calme
du vendredi 18 janvier 2013 au samedi 23 février 2013
Théâtre Nanterre-Amandiers
7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre

Du 18 janvier au 23 février 2013. Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h30, le jeudi à 19h30. Tél. : 01 46 14 70 00. www.nanterre-amandiers.com Le texte de la pièce est édité chez l'Arche voir lien suivant  StartSelection:0000000199 EndSelection:0000000604
http://www.arche-editeur.com/publications-catalogue.php?livre=603
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