Celui qui tombe
Acrobate, jongleur et metteur en scène, Yoann [...]
Jacques Vincey crée Und, d’Howard Baker, avec Natalie Dessay et Alexandre Meyer pour prêter corps, voix et musique à cette logorrhée douloureuse, sertie dans un écrin scénographique fascinant.
Des lames de glace suspendues dans les cintres pleurent sur le plateau. Comme un immense lustre de cristal, l’installation imaginée par Mathieu Lorry-Dupuy brille de mille feux et suggère un univers raffiné, pour cœurs adamantins et mœurs compassées. Natalie Dessay se tient sous cet élégant plafond, hiératique comme une poupée sophistiquée qu’on aurait posée au milieu d’une vitrine scintillante. Mais les larmes coulent des pampilles, et la fragilité de l’équilibre apparaît d’emblée comme une menace : sitôt que Und parle, elle revivifie les mots gelés par l’attente qui la condamne et l’obsède. Ce qu’elle profère, murmure, exhale ou assène va bientôt briser la glace. Reine des neiges cruelle et frigide en son palais d’hiver, autre Winnie immobilisée par les effets d’une mort prochaine, héroïne sentimentale de Passion simple ou suicidée en sursis de La Voix humaine : Und est toutes ces femmes, conjonction sans coordination…
Le feu sous la glace
Dans son interprétation théâtrale, Natalie Dessay conserve et retrouve les subtilités de la modulation lyrique. Elle passe sans ambages de l’aristocrate impérieuse à l’oisillon blessé, du couteau à la plaie, de l’ordre à la supplique. Le texte d’Howard Baker s’entend presque davantage qu’il ne s’écoute : les sens en alerte, l’œil attiré par la crainte de voir le ciel cristallin se briser sur la scène, l’oreille soudain attirée par les sons et la musique d’Alexandre Meyer, on est emporté par le tumulte d’un torrent, semblable à ceux qui naissent au printemps des glaciers. A l’opéra, on ne s’attache pas à percevoir chaque note car la maniaquerie du détail ferait perdre la jouissance des synesthésies ; en goûtant un plat à l’élaboration complexe, on ne s’essaie pas à analyser la nature de chaque ingrédient : on assiste à ce spectacle en faisant l’expérience directe de la complémentarité des talents. Habile chef d’orchestre d’une équipe qui réunit les meilleurs (de Cécile Kretschmar à Virginie Gervaise pour coiffer et habiller cette douloureuse attente ; de Mathieu Lorry-Dupuy à Marie-Christine Soma pour l’enchâsser précieusement), Jacques Vincey offre avec ce spectacle une œuvre d’art hypnotique et troublante.
Catherine Robert
Dans le cadre de Paris Quartier d'été, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris. Du 21 au 24 juillet à 21h. Tél. : 01 53 05 19 19. Durée : 1h10. Texte publié aux éditions Théâtrales. Reprise en 2016.
Acrobate, jongleur et metteur en scène, Yoann [...]