Le syndrome de Cassandre
Une dégaine de traîne-savate, un peu ours mal [...]
Jean Bellorini continue son exploration des chefs-d’œuvre de la littérature en s’emparant des cent premières pages de Du côté de chez Swann, qu’interprètent Hélène Patarot et Camille de La Guillonnière, coauteurs de l’adaptation.
Pourquoi à nouveau adapter une œuvre littéraire ?
Jean Bellorini : Je cherche à provoquer la communion des imaginaires des acteurs et des spectateurs. Je crois qu’en cela, le théâtre s’apparente à l’art de la lecture, par opposition aux spectacles à images finies, comme l’est par exemple le cinéma. Il doit y avoir au théâtre une part de liberté, d’inconnu, comme celle qui est réservée au lecteur. Telle est ma définition du théâtre, qui ressemble en cela à celle de la littérature : une rencontre entre des imaginaires qu’accompagne une disponibilité du spectateur à cela. Cette expérience unique naît lorsque des hommes parlent à des hommes. Au milieu du plateau, ces imaginaires s’entrechoquent : là, il y a du théâtre.
Pourquoi choisir Proust ?
J.B. : Voilà un bon moment que ce projet me tourne dans la tête. Le spectacle s’appuie sur Proust et convoque de nombreux passages de La Recherche, mais pas exclusivement. Il s’agit plutôt d’une enquête sur la mémoire, le souvenir, sur la manière dont le temps le transforme, ainsi que d’un hymne à l’art, à l’éphémère, à l’instant, au hasard, à l’involontaire. On cherche au théâtre cette reconnaissance inattendue de ce qu’on est, et c’est aussi ce que Proust cherche toute sa vie dans son œuvre. Tous les objets – la moindre rue, la moindre pluie – évoquent, font écho à un soi antérieur très précis. Or, je crois que c’est exactement ce qu’on cherche au théâtre, ce qu’on reconnaît sans l’avoir prévu. Voilà pourquoi ce spectacle est aussi un hymne à cet art.
Comment les comédiens s’inscrivent-ils dans ce projet ?
J.B. : Hélène Patarot y évoque sa vie, son exil loin du Vietnam, et Camille de La Guillonnière, comme venu lui rendre visite, est interpellé par son récit. Si la madeleine était un nem : voilà comme aurait pu s’appeler le spectacle ! Le spectacle tourne autour des figures de la grand-mère du narrateur et de celle d’Hélène. Nous nous sommes concentrés sur le début et la fin du roman : d’abord Combray, la relation aux souvenirs d’ennui, de lecture, de famille, du coucher, de l’amour de la mère, de la grand-mère, puis la mort des grands-mères et le deuil, autour de cette jouissance perverse du narrateur qui a besoin de se sentir souffrir pour sentir que sa grand-mère est en lui. Nous évitons l’aspect mondain de l’œuvre pour nous consacrer au Proust enquêteur de l’âme. Hélène et Camille incarnent la grand-mère et le narrateur, ou le narrateur et Françoise, ou Marcel et Céleste. Ils sont seuls en scène avec un musicien, Jérémy Peret, un peu comme à l’intérieur d’une âme. Avec Arvo Pärt, Bach et Vivaldi, nous cherchons quelque chose qui force la pulsation, avec l’impression d’une apnée qui mesurerait l’écoulement du temps, dans une sorte de demi-sommeil permanent.
Propos recueillis par Catherine Robert
Du lundi au samedi à 20h ; dimanche à 15h30 ; relâche le mardi. Tél. : 01 48 13 70 00.
Une dégaine de traîne-savate, un peu ours mal [...]