La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2014 - Entretien Charles Gonzalès

Un homme qui cultive l’art véritable

Un homme qui cultive l’art véritable - Critique sortie Avignon / 2014 Avignon Théâtre des Halles
Crédit photo : Pascal Victor

Théâtre des Halles / Charles Gonzalès devient… La Trilogie / d’après les lettres et les textes de Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane /
conception et jeu Charles Gonzalès

Publié le 23 juin 2014 - N° 222

Comme le signait Bach sous un de ses canons, Charles Gonzalès est « un homme qui cultive l’art véritable » : celui du théâtre, où l’invisible devient visible et la voix est rendue à trois âmes tues.

Quel lien entre Camille Claudel, Thérèse d’Avila et Sarah Kane ?

Charles Gonzalès : Toutes les trois cherchent la lumière. Camille est dans l’asile d’aliénés de Montdevergues, dans l’enfer d’un génocide artistique où elle sculpte le silence. On est là dans le théâtre de l’émotion, dans l’empathie et la révolte. Thérèse est elle aussi recluse, mais en elle-même. Elle a commencé par une vie amoureuse intense, mais à force de lire des romans chevaleresques, un jour, dans le jardin, elle voit l’invisible rendu visible qui lui révèle que l’âme est comme une pluie abondante. On ne va pas chercher la pensée, elle vous fracasse ! On retrouve cette quête chez Sarah Kane, mais on est alors en plein théâtre de la cruauté. Sarah en a assez du théâtre, car l’action se passe toujours en dehors d’une scène où elle voudrait elle aussi rendre visible l’invisible. Mais la petite Sarah ne trouve pas ce qu’elle cherche : elle défait ses lacets et se pend à vingt-huit ans. Et ça, c’est à pleurer ! Ce sont trois femmes que l’on tait et pour moi, c’est insupportable !

« Je cherche la note juste pour mettre en théâtre l’âme de ces trois femmes. »

Pourquoi un homme pour interpréter ces trois rôles ?

C. G. : Je cherche la note juste pour mettre en théâtre l’âme de ces trois femmes. Exactement dans l’esprit de l’art japonais de l’onnagata, où l’homme ne joue pas une femme mais interprète l’âme de cette femme. Si une actrice jouait ces trois femmes qui ont existé, l’identification serait inévitable et ce serait presque obscène. L’interprète masculin permet le recul. Lorsqu’un onnagata interprète la mort de la jeune fille héron, il garde son apparence d’homme et pourtant, l’âme féminine est là : son jeu permet la mise en chair de l’âme sur la scène. Ce n’est pas par coquetterie qu’un homme joue une femme : on a là un acteur qui emprunte le très long chemin permettant de mettre en lumière l’âme de ces femmes « livrées aux répugnances », comme dit Rimbaud. On est chez les Grecs ; on est au théâtre, dans ce théâtre rêvé par Genet et qui se jouerait dans un cimetière.

Comment jouer ce théâtre-là ?

C. G. : Il faut parvenir à donner sa vitesse au texte, « temple », comme on dit en espagnol, pour reprendre ce terme tauromachique qui désigne la manière dont le torero donne sa propre vitesse à la fureur du taureau. Il faut donner sa propre vitesse à l’âme exécutée, interpréter cette musique tue plutôt que silencieuse, cette privation inadmissible, tant les choses sont à dire et à vivre. Si le théâtre nous permet de mettre en lumière ces trois âmes pour dire notre colère et notre désir de vivre libre, on réalise une des fonctions de cet art extraordinaire. « Bonae Artis Cultorem Habeas », signait Bach sous un de ses canons, transformant son nom en cet acronyme. Je veux cultiver cet art véritable qui permet de faire entendre le cri muet, comme chez Artaud, comme celui poussé sous la torture et qui ne fait aucun bruit, comme celui de Camille sculptant le silence, celui de Sarah qui reproche à Dieu de lui faire aimer quelqu’un qui n’existe pas, celui de l’oraison de l’espace vide qu’impose le recueillement de Thérèse et qui ressemble tellement au théâtre, ce « bruit de saint silence » que Thérèse entend, comme Elie, après l’ouragan…

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Charles Gonzalès devient… La Trilogie
du samedi 5 juillet 2014 au dimanche 27 juillet 2014
Théâtre des Halles
Rue du Roi René, 84000 Avignon, France

Avignon Off. Théâtre des Halles, rue du Roi René. Du 5 au 27 juillet, à 21h (relâche le 16 juillet). Tél. : 04 32 76 24 51.

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