Uccellacci et Uccellini
©Légende : « Saint-François et ses oiseaux, Uccellacci e Uccellini. »
Légende : « Saint-François et ses oiseaux, Uccellacci e Uccellini. »
Publié le 10 octobre 2011 - N° 191
Un voyage au pays de Pasolini, un vagabondage sur des chemins d’errance où enchantement et mélancolie, poésie et humour, alternent dans un esprit forain.
Le film de Pier Paolo Pasolini, Uccellacci e uccellini,(1966) est une comédie dramatique énigmatique dont l’action se situe, comme souvent chez le poète martyr et visionnaire, aux abords marginaux et solitaires d’une ville italienne industrialisée, Rome sans doute. Un père et un fils suivent humblement une route épique sans véritable projet. Ils rencontrent un corbeau magique qui, ayant le pouvoir de parler, les interroge sur l’existence, et mesure ainsi leur ignorance. Afin de les initier au monde, le corbeau politisé à l’engagement citoyen les transforme en moine et moinillon. Luciano Travaglino, co-fondateur avec Félicie Fabre du Théâtre de la Girandole à Montreuil, s’inspire librement du film pasolinien pour créer son Uccellacci et Uccellini, Des oiseaux voraces et des oiseaux doux et tendres. Le metteur en scèneinterprète le père, et pas n’importe quel père puisque dans le film de Pasolini, écrivain et dramaturge d’obédience communiste à ses débuts, il s’agit du fameux grand comique Toto que le cinéaste décrit comme une légende vivante, le prince de l’extravagance. Pasolini voyait dans cette figure d’artiste populaire la synthèse heureuse d’un personnage profondément humain, absurde, surréel et clownesque. Le fils – disciple à convaincre – est incarné, sur le plateau, par Gaëtan Guérin.
Méditation poétique
Ce couple improbable et borderline symbolise l’humanité romaine ouvrière dans ce qu’elle a de plus humble et de plus noble à la fois, rejoignant l’autre couple mythique d’En attendant Godot de Beckett. Le corbeau qui accompagne leur virée non cadrée est assez pittoresque : il est bavard comme une pie venue du « pays de l’idéologie », marxiste donc, et accomplissant le deuil non pas de ses convictions malmenées mais de son « âme » embourgeoisée, même si le mot peut paraître grossier dans un tel bec. Au moyen d’un flash-back imprévu, voilà notre petit monde, oiseleur et volatiles, transporté au XIIIe siècle, soutanes de bure en guise de costumes, auprès de Saint-François d’Assise. La parole de l’Évangile est distillée aux faucons (Uccellacci) et aux moineaux (Uccellini). Le monde est scindé en gros et petits, c’est bien connu. Le noir corbeau qui joue avec délectation le saint homme n’est rien moins que le facétieux Jean-Pierre Leonardini, critique dramatique et homme de lettres. Théâtre d’ombres, oiseaux à baguettes, costume royaux aux couleurs stridentes, jeux d’ombres et de lumières, présence majestueuse de la lune blanche, bribes du film originel projeté : le plaisir est pour le public convié poétiquement – à travers une Strada fellinienne – à réfléchir sur l’impossibilité de l’intellectuel contemporain à tenir le rôle de guide dans notre société. Une méditation d’une actualité plutôt criante…
Véronique Hotte
Uccellacci e Uccellini, « Des Oiseaux voraces et des oiseaux doux et tendres » d’après Pasolini ; mise en scène de Luciano Travaglino. Jeudis 27 octobre, 3, 10, 17 et 24 novembre 2011 à 19h30 ; vendredis 28 octobre, 4, 11, 18 et 25 novembre à 20h30 ; samedis 29 octobre, 5, 12, 19 et 26 novembre à 20h30. Théâtre de La Girandole 4 rue Edouard Vaillant à Montreuil. Tél : 01 48 57 53 17