Transe
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Philippe Jamet présente Travail, une œuvre très aboutie mêlant enquête documentaire et création chorégraphique, sur la place et le sens du travail dans nos vies.
Dans la continuité de ses Portaits dansés glanés dans le monde, Philippe Jamet explore la signification du travail dans notre société en associant enquête documentaire et création artistique. Il a interrogé et filmé trente-six personnes de diverses générations et professions, issues de Bourges, Calais, Bobigny, Paris, Vitry et Sénart. Le spectacle commence par la diffusion des entretiens réalisés dans trois villes, suivie d’une performance chorégraphique associant trois travailleurs et trois danseurs – des « travailleurs chorégraphiques ». Le travail accompli par Philippe Jamet et son équipe est tel que les six interprètes parviennent à composer un ensemble vif, cohérent et rythmé, qui entre en résonnance de multiples façons avec les propos des personnes interrogées, et articule avec finesse les relations entre l’individu et le collectif. Contraintes, soumission, rendement, instinct de survie, absence de liberté, soif de liberté… : les corps parlent, et s’écoutent. Philippe Jamet s’appuie notamment sur l’histoire personnelle de l’un des danseurs, Martin Kravitz, internationalement reconnu, qui évoque la relation à son père et sa décision de devenir danseur malgré un corps qui n’était pas a priori fait pour ça. Un parcours qui rappelle qu’avec le travail l’homme réalise « son propre but dont il a conscience », selon les mots de Karl Marx, et que le travail est une voie d’accès à la réalisation de soi, comme l’affirme Hegel !
Parole libre et réfléchie
L’oeuvre de Philippe Jamet est réussie car elle expose de façon flagrante et avec une grande sobriété toute la complexité et la disparité des situations humaines, face à leur destin commun. L’artiste évite l’écueil du catalogue ; la parole recueillie, libre et réfléchie, se confronte au réel sans faux-semblants, et la performance fait écho de belle façon à ce foisonnement, avec beaucoup d’humour et parfois de l’émotion. Si le travail est censé assurer à l’homme subsistance, socialisation, épanouissement, il signifie aussi la peur, l’aliénation, voire une quête inaccessible. La crise frappe aujourd’hui très durement. Dans l’œuvre hybride créée par Philippe Jamet, c’est l’humain dans son environnement et son histoire qui prime, révélant notamment de cruels contrastes. Ainsi s’affichent l’écart entre ce qu’on désire et ce qu’on obtient, ou la fracture entre ceux qui ont trop de travail et ceux qui n’en ont pas. Cet ancrage dans le vécu et le ressenti prend à partie le spectateur. L’homme clame haut et fort son besoin de travail, et s’affirme ici malgré toutes les difficultés comme sujet et non comme objet !
Agnès Santi