« Tout le temps du monde » de Danai Epithymiadi mêle inspiration autobiographique et personnages fantasmatiques

Tout le temps du monde, est-ce l’histoire d’une jeune fille qui a refoulé des souvenirs traumatiques ?

Danai Epithymiadi : Je souhaitais écrire une histoire sur le cheminement d’une jeune femme qui se construit à travers le deuil. Incapable de faire face à la perte de sa mère et à la culpabilité de lui avoir survécu, Christina recompose la réalité pour tenter d’y trouver sa place. Le refoulement est ici d’une grande fécondité : il produit des « monstres », personnages et situations dont on ne sait s’ils appartiennent au passé, au présent, ou au pur fantasme. Mais peu importe, le faux autant que le vrai offrent l’occasion à la protagoniste de faire connaissance avec ses plus grandes peurs et sa vérité profonde.

Pourquoi Christina fait-elle appel à un médium pour convoquer des esprits ? Essayez-vous d’arpenter les territoires de l’invisible ?

D.E. : Il y a une dimension comique dans le personnage du médium, qui introduit de manière décalée le thème de la communication avec les morts – qui se manifeste ailleurs dans la pièce de manière encore plus frappante par l’apparition d’un autre personnage tout droit surgi du monde des morts. Médiums, esprits: j’aime ces figures populaires qui se nourrissent du besoin viscéral de croire face à la perte et à l’inconnu. Je les convoque sans les prendre complètement au sérieux, mais sans non plus les dépouiller de ce qu’elles révèlent de notre condition humaine et du lien profond qui nous unit aux disparus.

« La pièce est une plongée en apnée dans ce subconscient en ébullition. »

Tout le temps du monde s’appuie sur une pièce précédente, Bloom. Pourquoi avez-vous voulu la prolonger ?

D.E. : J’ai commencé à écrire Bloom il y a dix ans, peu après la mort de ma mère. J’avais besoin d’un moyen de la garder près de moi encore un peu, et j’ai donc commencé à écrire un texte qui ressemblait moins à une pièce de théâtre qu’à une longue lettre adressée à celle qui ne la lirait jamais. Au fur et à mesure que la douleur s’atténuait, j’ai commencé à chercher comment dépasser ce niveau purement personnel et autobiographique pour créer un monde à part entière reposant sur la complexité du processus du deuil et sur la façon dont il interfère avec la vie des survivants. J’ai tiré de ce matériau à la fois un court métrage cinématographique, et cette nouvelle pièce, tous deux intitulés Tout le temps du monde.

Quelles seront les caractéristiques principales de votre mise en scène ?

D.E. : Je m’intéresse au deuil en tant que paysage mental protéiforme, se transformant au gré des fluctuations émotionnelles des différentes phases qui le composent – déni, colère, désespoir, résignation etc. Dans le décor unique d’une chambre d’hôpital transfigurée par le jeu des lumières et des projections, et par les figures inattendues qui s’y succèdent, la gageure du spectacle est d’arriver à donner à voir et à vivre l’intensité des sentiments et des pensées qui se livrent bataille dans l’inconscient meurtri d’une jeune femme endeuillée. La pièce est une plongée en apnée dans ce subconscient en ébullition.

Propos recueillis par Eric Demey, traduits du grec par Basile Doganis