La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Tout le monde veut vivre

Tout le monde veut vivre - Critique sortie Théâtre
© Nikhil Bhowmick, Yann-Yves O'Hayon-Crosby Le Comte Pozna et son domestique esclave Bamba (Vincent Menjou-Cortès et Frédéric Lapinsonnière).

Publié le 10 février 2012 - N° 195

Féroce, cruel, grotesque, drôle et pénétrant, un petit bijou d’Hanokh Levin à découvrir dans une mise en scène impeccablement maîtrisée et équilibrée de la jeune compagnie Aquilon.

Parmi l’œuvre prolifique de l’exceptionnel dramaturge israélien Hanokh Levin (1943-1999), plusieurs pièces sont désormais connues en France – Yaacobi et Leidental, Kroum l’Ectoplasme et d’autres. Tout le monde veut vivre n’a encore jamais été montée sur une scène hexagonale. C’est un petit bijou, où comme toujours chez Levin, se déploie un comique féroce, cruel, tranchant et désespéré, un rire radical au cœur du tragique, où semble se dissimuler une sorte de tendresse pour nous tous, frères humains, dont il débusque les faiblesses et les contradictions avec une époustouflante clairvoyance et un prodigieux sens de la dérision. Comme chez tous les grands écrivains, le rire va ici de pair avec un tableau de la condition humaine riche et nuancé malgré l’outrance. Les metteurs en scène de la compagnie Aquilon, Vincent Menjou-Cortès et Amélie de la Morandière, ont su donner corps à la pièce avec maîtrise et maestria, évitant les écueils que l’on constate parfois dans les pièces de Levin : un grotesque trop exacerbé, des sentiments vraiment surjoués, qui tirent le tout vers la  bouffonnerie. Ici, la mise en scène combine cohérence, précision et stylisation affûtées dans un équilibre percutant, qui laisse voir autant le risible, le grotesque et le monstrueux que la profondeur métaphysique de ce remarquable texte.

« Tant de souffrances, quel bonheur ! »

Tout s’enchaîne avec fluidité, soulignant justement la cruauté et les faiblesses humaines, sur un plateau bien structuré (avec de délicates lumières), évitant tout superflu. Figure omniprésente dans toute l’oeuvre de Levin, la mort est au centre de cette pièce. Le puissant Comte Pozna reçoit en effet la visite de l’Ange de la Mort ; effaré et tétanisé, il parvient cependant à négocier un sursis de trois jours avant le coup fatal, à condition qu’il trouve quelqu’un qui accepte de mourir à sa place. Il se lance en quête d’un candidat au sacrifice suprême, s’aventure du côté des sans-abris et des éclopés, a priori peu attachés à la vie… Sans succès. Un clochard agonisant lui déclare même en toute logique que le monde a été créé pour lui. Quant à son domestique esclave, son épouse, ou ses parents, on vous laisse découvrir ce que dévoile l’annonce de ce défi. « Tant de souffrances, quel bonheur ! » s’exclame-t-il, inspiré par la vie de ses congénères. Soit la théorie de la relativité en application lorsque l’on sait que la mort va vous saisir. L’absurdité et la vérité font parfois bon ménage… Parmi les acteurs, excellents, Vincent Menjou-Cortès interprète le Comte Pozna et India Hair son épouse. Une pièce à découvrir dans le petit mais très confortable théâtre de Belleville, qui a ouvert ses portes en octobre dernier.

Agnès Santi    


Tout le monde veut vivre de Hanokh Levin, mise en scène Vincent Menjou-Cortès et Amélie de la Morandière, du 6 janvier au 12 février, du mardi au samedi à 21h, dimanche à 18h30, au Théâtre de Belleville, 94 rue du Fbg du Temple, 75011 Paris. Tél : 01 48 06 72 34.  Durée : 1H40.

A propos de l'événement


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