Une saison au Congo
Troupe fière, verbe glorieux, étendard de [...]
Performeuse sidérante, Angelica Liddell pleure la jeunesse perdue et ternit son invective par des amalgames douteux.
« Voir la saleté du fleuve quand on se retrouve seule, la nuit. Le voilà, l’engagement dans l’humanité. » balance Angelica Liddell, la hargne au ventre, taclant d’un coup sec les professionnels de la pitié et autres volontaires dégoulinant d’altruisme. La chair à vif à force de griffer ses plaies inconsolables, à force de gratter la souillure d’une humanité vérolée par l’ignominie ordinaire, la dramaturge et metteuse en scène espagnole crache son dégout à la face du monde avec la fureur désespérée d’un cri d’amour. Acariâtre et provocateur, son théâtre fustige les silences complices lardés dans le gras du quotidien, déloge l’inavouable discrètement planqué au cœur pourri du présent. Dans Tout le ciel au-dessus de la tête (Le syndrome de Wendy), l’atrabilaire passionnée parle de la jeunesse perdue, de sa peur d’être abandonnée, de son incapacité maladive à être heureuse. Elle pique réflexions et déjections sur sa propre névrose et déverse sa charge violente contre les mères, contre le « supplément de dignité » qu’enfanter rapporte immédiatement.
Bête de scène
L’île norvégienne d’Utoya, où, en 2011, Anders Breivik assassina 69 jeunes gens, condamnés par balles à ne pas vieillir, devient le lieu du fantasme et se transforme en Neverland, le Pays imaginaire de Peter Pan. S’y trouve Wendy, qui vadrouille aussi à travers Shanghai, croise un policier, un orchestre, des princesses et des danseurs de salon chinois tourbillonnant dans de gracieuses valses. On finit par se perdre dans cet assemblage qui peine à trouver sa lisibilité et sa forme scénique, en dépit de la force de l’installation plastique. Sans parler de l’ennui des démonstrations dansées. Surtout, on est gêné par le glissement qu’elle opère, de son désir en souffrance au geste atroce du tueur d’Utoya qui devient presque un acte amoureux par désespoir. « Je me tenais debout, au centre de l’île d’Utoya, cernée de cadavres. Après les avoir tués (…), j’étalais leurs corps inertes sur mon corps, j’enfonçais et je ressortais le couteau délicatement (…), je leur tranchais les doigts et je jouais avec, et tout était beau, (…) j’avais besoin d’être consolée, vraiment consolée (…) » dit-elle. Certes Angelica Liddell est une bête de scène. Le corps habité par une fièvre flamenco, elle soliloque, vocifère, à la fois punk, volcanique et fragile, poignante dans sa mélancolie misanthrope, tandis que The House of the Rising Sun, la chanson des Animals, revient comme un entêtant refrain. On peut être sidéré par la performance. On n’est pas obligé d’applaudir.
Gwénola David
Troupe fière, verbe glorieux, étendard de [...]