La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Stéphane Braunschweig

Stéphane Braunschweig - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Elizabeth Carecchio Légende : Stéphane Braunschweig, durant les répétitions de Lulu.

Publié le 10 novembre 2010

Une mise en jeu du corps et de l’imaginaire

Quinze ans après avoir mis en scène Franziska de Frank Wedekind, Stéphane Braunschweig revient à l’auteur allemand Frank Wedekind avec Lulu, « pièce monstre » qui habite l’esprit du metteur en scène depuis le début de sa carrière. Dans le rôle-titre, Chloé Réjon prend part à un spectacle plongeant dans « la transgression et la brutalisation du réel par le fantasme ».

Pour quelles raisons avez-vous choisi de mettre en scène la version primitive de Lulu ?
Stéphane Braunschweig : Parce que cette version – que Frank Wedekind intitula Pandore, une tragédie-monstre, version qui ne fut ni jouée, ni éditée de son vivant – est plus crue, moins explicative, plus fulgurante que les deux pièces qui composent la version ultérieure (ndlr, L’esprit de la Terre et La Boîte de Pandore). Nous sommes donc partis de cette première version réduite de quelques coupes et avons emprunté à la seconde quelques variantes, ainsi que la scène de la loge dans le théâtre qui ne figurait pas dans Pandore, une tragédie-monstre.
 
Quelle est l’histoire de Lulu ?
St. Br. : Lulu retrace la courte vie d’une femme qui, après avoir été abusée et prostituée lorsqu’elle était enfant, devient l’objet fantasmatique de plusieurs hommes. Des hommes assez différents, mais qui ont tous pour point commun d’être attirés, d’une façon ou d’une autre, par le côté enfantin de ce personnage. Après une première partie qui suit un mouvement ascendant, on assiste à la déchéance progressive de Lulu, qui va finir sur le trottoir, dans les rues de Londres.
 
Mettre en scène Lulu passe obligatoirement par des questions précises sur l’identité de ce personnage. Qui est, de votre point de vue, cette femme énigmatique ?
St. Br. : Lulu existe avant tout à travers les fantasmes des hommes, à travers les projections dans lesquelles ils l’enferment. Lorsqu’on aborde cette pièce, on en arrive inévitablement, à un moment ou un autre, à se demander si ce personnage a une existence réelle. J’ai souhaité mettre en scène toute la dimension fantasmatique attachée à Lulu, mais en prenant le parti de conférer un véritable parcours de vie à ce personnage. Pour moi, Lulu n’est pas du tout une femme fatale. Elle peut bien sûr se révéler fatale pour les hommes qui l’approchent, mais les hommes sont également fatals à eux-mêmes. Wedekind considérait Lulu comme un personnage très instinctif, un personnage qui vit au présent, qui se débat dans son existence. Je trouve cet aspect particulièrement intéressant, car il confère à Lulu la capacité de rebondir, de dédramatiser les pires situations. Cet instinct est comme un noyau de vie au plus profond d’elle-même, quelque chose de quasiment indestructible. Cette prédisposition au rebond passe d’ailleurs par le jeu. Lulu joue comme une enfant, de manière à la fois innocente et cruelle. Cette part d’enfance qui fait fantasmer les hommes et qui, dans le même temps, porte en elle le souvenir de sa maltraitance, est également l’endroit dans lequel Lulu trouve les ressources pour pouvoir continuer à vivre. Etre en permanence dans le jeu est, en effet, une façon de ne pas prendre l’existence totalement au sérieux.
 
« Lulu joue comme une enfant, de manière à la fois innocente et cruelle. »
 
 
En quoi Chloé Réjon s’est-elle imposée à vous pour incarner ce rôle ?
St. Br. : C’est grâce à elle que j’ai pu concrétiser mon envie de mettre en scène Lulu. Car on ne peut pas décider de monter cette pièce sans avoir trouvé la comédienne capable d’interpréter ce rôle, j’entends par là une comédienne pouvant dégager une très forte dimension enfantine, une très grande légèreté, mais aussi une grande profondeur. Chloé Réjon investit ces deux aspects de façon magnifique.
 
Vers quelle forme d’interprétation avez-vous conduit vos acteurs ?
St. Br. : L’écriture de Wedekind n’est ni explicative, ni réaliste. Il s’agit d’une écriture pulsionnelle, qui se situe toujours dans le deuxième degré, qui développe une forme d’humour par rapport à toutes les situations, même les plus sordides. Nous avons donc travaillé à trouver le ressort de cette pulsion humoristique, une pulsion qui, je crois, doit passer par une grande fantaisie, par une mise en jeu très forte du corps et de l’imaginaire.
 
Peer Gynt, Une Maison de poupée, Le Conte d’hiver… : votre parcours de metteur en scène semble intimement lié à la question du fantasme et de la réalité. Cette question se situe-t-elle, pour vous, au cœur de Lulu ?
St. Br. : Oui, c’est selon moi la question essentielle de la pièce. Mais, d’une certaine façon, le rapport au fantasme est double dans Lulu. Car cette question peut passer par deux aspects opposés. Soit on se perd dans le fantasme, soit on s’en sert pour échapper à la réalité ou la transformer. Je trouve cette possibilité de transgression et de brutalisation du réel par le fantasme passionnante. C’est vraiment quelque chose que je souhaite creuser et faire apparaître, afin que les spectateurs puissent être amenés à se poser des tas de questions, afin qu’ils puissent ressentir un trouble, une forme de déstabilisation.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Lulu, de Frank Wedekind (le théâtre complet de Frank Wedekind est publié par les éditions Théâtrales/Maison Antoine-Vitez) ; mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig. Du 4 novembre au 23 décembre 2010. Les mardis, mercredis, vendredis et samedis à 19h30, les dimanches à 15h30 (relâche les lundis et jeudis, sauf les jeudis 4 novembre et 23 décembre). Théâtre national de la Colline, 15, rue Malte-Brun, 75020 Paris. Réservations au 01 44 62 52 52.

En tournée du 7 au 13 janvier 2011 à la MC2 Grenoble, du 19 au 22 janvier au Grand T à Nantes, du 27 au 30 janvier au Théâtre national de Toulouse.

A propos de l'événement


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