La Terrasse

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Théâtre - Critique

Stefan Druet Toukaïeff met en scène « La Misérable » de Catherine Privat avec une Julie Depardieu touchante, esclave dévote et muse indispensable au génie Victor Hugo

Stefan Druet Toukaïeff met en scène « La Misérable » de Catherine Privat avec une Julie Depardieu touchante, esclave dévote et muse indispensable au génie Victor Hugo - Critique sortie Théâtre Paris Studio Marigny
LA MISERABLE Un seul en scène de Catherine Privat Mise en scène par Stephan Druet Toukaïeff Avec Julie Depardieu Scénographie : Stephan Druet Toukaïeff Costumes : David Belugou Lumières : Thomas Jacquemart Musiques : Beethoven Attachées de presse : Laurence Falleur laurencefalleur@gmail.com Jennifer Bardin jennifer.bardin@gmail.com Couturière du mercredi 1er octobre 2025 au Théâtre Studio Marigny Photographe ©Emilie Brouchon

Studio Marigny / texte de Catherine Privat / mise en scène de Stefan Druet Toukaïeff

Publié le 10 novembre 2025 - N° 337

Julie Depardieu se glisse dans la peau de la femme de l’ogre et incarne, avec une sensibilité touchante, Juliette Drouet, cloîtrée par amour, esclave dévote et muse indispensable au génie.

Si l’on en croit Théophile Gautier : « La tête de Mademoiselle Juliette est d’une beauté régulière et délicate qui la rend plus propre aux sourires de la comédie qu’aux convulsions du drame ; le nez est pur, d’une coupe nette et profilée ; les yeux sont diamantés et limpides ; la bouche, d’un incarnat humide et vivace, reste fort petite, même dans les éclats de la plus folle gaieté. » Il y a de la Juliette en Julie, en déshabillé à dentelles comme en robe de voyage : une même gouaille et une indéfectible force de vie qu’expriment son minois charmant, son corps de liane et sa sensualité que rien ne parvient à corseter. La comédienne s’empare avec passion de cette femme de l’ombre, plus piquante que l’ordinaire Adèle. Elle campe la préférée du harem de celui qui comptait ses « coups » dans un carnet secret et dévorait les femmes comme il engloutissait la nourriture : en ogre. Hugo l’avouait : « Dès qu’on aime une belle, on s’observe, on se scrute ; / On met le naturel de côté ; bête brute, / On se fait ange ». Ainsi fit Toto avec Juju, qui lui écrivait, un an après leur rencontre : « Mon Victor, aime-moi, n’aime que moi, et je serai ta femme, ton amante, ton esclave, ton chien. Je baiserai tes pieds. Je mendierai s’il le faut. Mais aime-moi, n’aime que moi. » Toute servitude est volontaire.

Maîtresse femme

Catherine Privat a composé un monologue qui défend Juliette davantage qu’il n’accuse Victor, et raconte cette passion effrénée, faite de désir sexuel inassouvi, d’admiration béate, mais aussi d’échanges intellectuels, de partage et d’inspiration. Elle rappelle que Juliette contribua largement à l’œuvre du maître, qui n’écrivit plus après la mort de son amour et ne sut « que faire du matin » sans son sourire. Le texte de Catherine Privat s’achève sur une ultime revendication de l’oblate, celle d’être « misérable », c’est-à-dire digne de pitié, ce que lui accorderont volontiers ceux qui pensent qu’être maîtresse est déchoir et que préférer l’amour à la légitimité civile est méprisable. Reste cependant cinquante ans de passion, un ultime « je t’aime » obstiné dans la dernière lettre de Juliette du 1er janvier 1883, des orages et des reproches, des voyages malgré la clôture imposée par l’amant jaloux, des deuils et des combats communs, des putains troussées à Guernesey alors qu’Hugo dénonçait leur état à la Chambre… Julie Depardieu réussit joliment à évoquer ces contradictions en faisant le portrait de cette muse soumise et pourtant libre, talentueuse et exigeante, qu’elle incarne avec une vibrante énergie, dans la mise en scène de Stefan Druet Toukaïeff qui la dirige sans la contraindre. Mieux que le toucan mélancolique, « cachant tristement (s)on énorme amour dans le fond de (s)on cœur », que Juliette Drouet disait être, Julie Depardieu est la touchante fauvette dont, comme celui de l’aigle, le « coup d’aile est nécessaire aux cieux ».

Catherine Robert

A propos de l'événement

La Misérable
du vendredi 3 octobre 2025 au mercredi 31 décembre 2025
Studio Marigny
Studio Marigny, Carré Marigny, 75008 Paris

Vendredi et samedi à 19h et dimanche à 18h. Tél. : 01 76 49 47 12. Durée : 1h10.

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