La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Simon Abkarian

Simon Abkarian - Critique sortie Théâtre
Légende : Simon Abkarian Copyright : Antoine Agoudjian

Publié le 10 mars 2011 - N° 187

L’ange Mata Hari

Pour sa cinquième mise en scène, Simon Abkarian monte un cabaret autour de Margaretha Geertruida Zelle, alias agent H21, alias la mythique Mata Hari, qui fut une diva de la danse avant d’être accusée d’espionnage, exécutée et disséquée.

D’où est venue l’idée de ce projet de spectacle sur Mata Hari ?
Simon Abkarian : Ce projet est né d’un double désir. Tout d’abord, de celui de ma femme qui voulait s’emparer du personnage de Mata Hari. Au théâtre encore, la place faite aux femmes reste infime et l’histoire de Mata Hari est significative sur ce point. D’autre part, j’avais l’envie d’un spectacle liant musique, danse et théâtre, une sorte de théâtre total même si l’expression ne veut pas dire grand-chose.

Pourquoi ce personnage ?
S.A : Parce qu’il est intéressant à plus d’un titre : historiquement, politiquement et théâtralement. Marghareta Geertruida Zelle a voulu se faire une place dans un monde d’hommes. Elle a compris par quel créneau y arriver en se faisant passer pour une danseuse venue d’Indonésie, en créant des spectacles mi-érotiques, mi-exotiques, en s’inventant un passé de princesse. Elle est véritablement devenue une star dans la France d’avant-guerre. C’était une véritable diva, mais surtout une femme qui a réussi à s’inventer un destin et une liberté. Elle gagnait beaucoup d’argent et sautait d’un homme à l’autre. Seulement, déjà dans ce monde, une femme n’avait pas le droit à l’envol, comme si le ciel était réservé aux hommes. Si bien qu’il a fallu la tuer en la faisant passer pour une espionne et en la condamnant à l’issue d’un procès totalement inéquitable.

Vous voulez la réhabiliter ?
S.A : Dans l’inconscient collectif, Mata Hari représente la femme duplice qui peut envoûter et tromper avec ses charmes. Mais en même temps qu’une femme fatale, elle incarne pour moi la liberté, l’impossible rendu possible, le combat féminin. Dans le spectacle, on lui rend donc ses habits humains. On fait entendre son point de vue sur l’art. On rappelle qu’elle voulait parler aux dirigeants européens pour faire cesser la guerre, qu’elle était à la fois naïve et d’une grande intelligence. C’est un ange à qui on a coupé les ailes, un personnage qui aujourd’hui ne pourrait plus exister. Elle est venue dans un monde où il y avait davantage d’espace pour l’enfance et la crédulité.
 
« Le théâtre est un espace qui échappe encore aux grands marchands »
 
En quoi ce personnage est-il théâtralement intéressant ?
S.A : Parce que c’est une danseuse. Une fausse danseuse. Et parce que ses interviews laissent voir chez elle une tendance à la schizophrénie. Son jeu permanent avec la réalité rejoint celui de l’acteur et le fait qu’elle ait joué sa vie permet d’introduire dans le récit de sa vie un certain recul, une distance, une ironie. On n’est pas dans la performance comme s’il s’agissait de raconter la vie d’une vraie danseuse.

Est-ce par mimétisme que vous  avez choisi la forme du cabaret ?
S.A : La forme du cabaret permet une condensation de l’action, ainsi que de passer d’un épisode à l’autre de la vie de Mata Hari via des intermèdes chantés. De plus, elle permet de monter une forme légère : un petit plateau, deux comédiens et neuf projecteurs. Dans les conditions économiques d’aujourd’hui,  c’est important. Surtout que j’aime le théâtre pour cette liberté qu’il offre. A la différence du cinéma, le théâtre est un espace qui échappe encore aux grands marchands. Enfin, les cabarets ont toujours fleuri en temps de crise. Ce sont des lieux de parole, de joie, de résistance à l’ordre établi. C’est donc aussi un petit acte politique que de procéder ainsi, si bien que j’ai décidé pour mes prochains projets de partir de contes et d’histoires vraies pour les « cabarétiser ».

Vous êtes déçu par le cinéma ?
S.A : Pas du tout .Théâtre et cinéma sont très complémentaires. Dans ma pratique ils se nourrissent réciproquement. Seulement, le cinéma s’oriente souvent vers un certain réalisme quand le théâtre consiste en un art de la transposition et de l’artifice, développe une poétique qui joue avec les codes et les conventions.

Propos recueillis par Eric Demey


Projet Mata Hari : Exécution, du 15 mars au 2 avril à 19h aux Bouffes du Nord. 37 bis Bd de la Chapelle, Paris 10ème. Réservations : 01 46 07 34 50

A propos de l'événement

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