Reprenant un des textes dont la version filmée immortalisa Bergman comme entomologiste des passions humaines, Michel Kacenelenbogen en propose une remarquable interprétation théâtrale.
Ni l’attirance physique ni l’attraction sentimentale, ni l’harmonie apparente de la cohérence psychologique ni l’accord intellectuel ne peuvent établir des liens amoureux satisfaisants dans la durée. Le couple est un équilibre temporaire et tout mariage est voué à l’explosion ou la résignation. Prisonniers du confort bourgeois dans lequel ils se sont progressivement installés, Marianne et Johan ont tout pour être heureux : séduisants et intelligents, ils ont de beaux enfants, des métiers intéressants et valorisants et une vie réglée par un emploi du temps ennuyeux et sans fantaisie. Installés dans un décor raffiné et de bon goût dont un lit recouvert d’étoffes précieuses occupe le centre, Muriel Jacobs et Alain Leempoel incarnent avec une belle décontraction ces héros ordinaires à l’allure impeccable de quadras favorisés par la vie. Mais l’apparence vole en éclats le jour où Johan avoue qu’il est amoureux ailleurs…
Un beau duo de comédiens pour un duel élégamment cruel
En fond de scène, de part et d’autre du lit qui d’arène des plaisirs est devenu nid douillet d’une conjugalité insipide et ne va pas tarder à se transformer en champ de bataille, deux écrans sur lesquels apparaissent les visages de Marianne et Johan, badinant avec esprit et décontraction sur les mérites de leur couple et les vertus de leur amour. Adroite mise en espace de la distorsion entre l’apparence béate et la réalité douloureuse de la vie à deux, qui, quant à elle, se joue sur scène. Derrière l’écran de l’être social se cache une intimité faite de coups bas, de mensonges et de blessures infligées à l’autre. Si les visages filmés demeurent lisses et souriants, ceux des comédiens sont peu à peu défigurés par la haine et le ressentiment. Muriel Jacobs et Alain Leempoel font preuve d’un remarquable talent dans la lente et inexorable transformation de leurs personnages et campent avec une vérité et une très précise justesse psychologique la dérive progressive de ces deux êtres trop narcissiques pour admettre qu’en amour, la dualité est le dépassement plutôt que la somme des individualités. Michel de Kacenelenbogen et ses comédiens réalisent ensemble un spectacle fin et intelligemment mené, à recommander comme viatique ou comme consolation !
Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman ; mise en scène de Michel Kacenelenbogen. Du 17 septembre au 26 octobre 2008. Du mercredi au vendredi à 20h30 ; samedi à 17h et 21h ; dimanche à 15h. Théâtre Mouffetard, 73, rue Mouffetard, 75005 Paris. Réservations au 01 43 31 11 99.