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Théâtre - Critique

Romeo Castellucci plonge « Bérénice » de Racine dans un bain de radicalité contemporaine

Romeo Castellucci plonge « Bérénice » de Racine dans un bain de radicalité contemporaine - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt
Isabelle Huppert dans Bérénice, mise en scène par Romeo Castellucci. © Jean-Michel Blasco

Théâtre de la Ville - Sarah Bernhardt

Publié le 26 février 2024 - N° 319

Créé au Domaine d’O, à Montpellier, le nouveau spectacle de Romeo Castellucci s’installe pour trois semaines au Théâtre Sarah Bernhardt à Paris. Le metteur en scène italien plonge Bérénice, de Racine, dans un bain de radicalité contemporaine. Diamant noir de cette proposition à la beauté énigmatique, Isabelle Huppert impressionne en reine de théâtre abandonnée et incandescente.

La force des créations de Romeo Castellucci tient essentiellement à ce qu’elles ne disent pas, ce qu’elles se gardent opiniâtrement de résoudre, de réduire, de décrypter. Ces expérimentations scéniques ne tentent pas d’imposer quoi que ce soit aux spectatrices et spectateurs. Elles se contentent d’ouvrir des espaces théâtraux qui réinventent et transfigurent — librement, subjectivement — des panoramas du monde. Chez le metteur en scène italien, le sensible l’emporte sur l’intellect, une forme renouvelée de réel prend le pas sur la réalité. L’imaginaire joue à plein. Ainsi que les émotions. L’émerveillement, aussi. Somptueuse descente au cœur de l’être contemporain, sa version épurée de Bérénice nous place face à la présence tellurique d’une reine esseulée. Une femme dont les paroles de renoncement résonnent au sein de l’immensité du plateau. Bérénice a été rejetée par l’homme qu’elle aime. Vespasien mort, Titus devient empereur. La loi de Rome lui interdit de s’unir à une étrangère. Il abandonne la reine de Judée, qui donne corps au drame de cette cruelle dépossession.

Ce qui n’est pas dit

Bérénice est seule, comme en dehors de son existence, tour à tour souveraine et miséreuse. Prise au piège d’un destin sans but et sans espoir, elle s’accroche à l’illusion d’un langage qui s’altère, avant de perdre l’usage des mots. On avait quitté Isabelle Huppert en impérieuse Marie Stuart, l’année dernière, chez Bob Wilson, lors de la reprise de Mary Said What She Said au Théâtre de la Ville. Elle revient en Bérénice et subjugue de nouveau. D’une grande puissance esthétique, nourrie par les fulgurances sonores et musicales de Scott Gibbons, la mise en scène de Romeo Castellucci offre à la comédienne un terrain de jeu fascinant. Isolée du reste du monde, l’héroïne qu’elle incarne croise les présences muettes et charnelles de Titus, d’Antiochus, d’un groupe de sénateurs. Le spectacle prend alors des airs de cérémonie païenne. Soumise aux battements de cœur du contemporain comme de l’archaïque, cette vision de la pièce de Racine révèle les vibrations organiques de ce qui n’est pas dit. Elle nous immerge dans la beauté indocile de la vie qui s’impose et nous échappe.

Manuel Piolat Soleymat

 

A propos de l'événement

Bérénice
du mardi 5 mars 2024 au jeudi 28 mars 2024
Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt
2 place du Châtelet, 75004 Paris

Du mardi au samedi à 20h. Relâche le dimanche 24 mars. Le lundi 25 mars à 20h. Spectacle vu au Domaine d’O, à Montpellier, le 24 février 2024. Tél. : 01 42 74 22 77. Durée : 1h45.

Également du 5 au 10 octobre 2024 à la Comédie de Genève, du 18 au 20 octobre aux Théâtres de la Ville de Luxembourg, du 10 au 12 janvier 2025 à la Comédie de Clermont-Ferrand, du 15 au 17 mai 2025 au Théâtre National de Bretagne.

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