L’art de la rencontre et la rencontre des arts
Dix ans après le succès d’Omkara, le danseur et musicien indien Raghunath Manet et le jazzman violoniste Didier Lockwood se retrouvent à nouveau dans une création musicale et dansée, Omkara II, prouvant de façon éclatante que la musique et la danse traversent les siècles, les civilisations, les êtres. La confrontation des différences devient ici une extraordinaire source de créativité.
« Des rencontres comme la nôtre montre l’unité de la société humaine. »
Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette collaboration artistique ?
Raghunath Manet : J’aime chercher l’unité en faisant résonner nos singularités, nos différences. Ce qui m’intéresse, c’est la confrontation avec d’autres artistes, c’est la créativité. C’est pourquoi je travaille avec des artistes qui ont un talent d’improvisateur, comme Didier. Les rencontres avec d’autres artistes me permettent d’évoluer, d’être constamment vivant. De nombreux jazzmen, tels Archie Shepp ou John Coltrane (je suis en train de préparer un album en son hommage), se sont inspirés et nourris des talas et ragas de l’Inde. J’ai une formation accomplie de musicien et danseur, qui a nécessité des années de pratique très exigeante, des heures infinies de répétitions, et cela même me rend apte à pouvoir improviser, désireux de me confronter à d’autres arts. J’affronte la modernité avec toute ma culture traditionnelle, mais je ne me dénude pas de la tradition pour copier la modernité. Cette maîtrise de rythmes très sophistiqués me permet au moment même de la performance d’être spontané. On fixe des cadres, et ce qui me motive c’est de pouvoir sortir de ces cadres ! Je ne m’épanouis que lorsqu’existe une part d’improvisation en moi. Chaque fois je monte sur scène avec un pari, je veux toucher à cette créativité quasiment magique et partagée avec un autre. L’Occident et l’Orient se rencontrent, la danse et la musique parlent le même langage.
Didier Lockwood : Raghunath pratique une danse intemporelle, qui s’inscrit tout autant dans l’esthétique de la danse traditionnelle que contemporaine. La symbolique de cet art très puissante génère une grande source d’inspiration pour moi. J’aime beaucoup la richesse rythmique de la culture musicale indienne et son profond attachement au spirituel. Les métissages fond souvent les pus beaux enfants et c’est en ces termes que le mélange des cultures pour moi opère. Ma collaboration avec Raghunath Manet fait naître un univers bien particulier au carrefour de la tradition et de l’improvisation, des modes orientaux et des musiques du monde, et cette alchimie se crée autour d’une connaissance commune du rythme.
Est-ce la danse qui suit la musique ou l’inverse ?
D. L. : Cela se fait dans les deux sens. Il s’agit le plus souvent d’une fusion, notre rencontre est surtout la somme de nos intuitions. Pour ce spectacle, nous partageons la scène avec le fantastique percussionniste indien Murugan qui apporte une richesse rythmique basée sur un groove puissant et infaillible, un musicien avec lequel je m’entends à merveille, mais aussi avec Aurélie Claire Prost jeune chanteuse de jazz mais aussi lyrique promue à une brillante carrière, issue de mon école de Dammarie les Lys. Ce spectacle nous plonge dans une magie toute particulière, à l’essence même du son et du geste. Chaque représentation est pour moi un merveilleux voyage.
R. M. : Omkara, c’est le son originel : c’est à ce son que Shiva créa le monde, et Shiva dansa au son de la musique. C’est le rythme qui construit l’espace, qui met en scène les mélodies, qui les assemble. La musique dicte le mouvement, et le rythme dicte la mélodie. A un moment donné, cela se mélange. Et le silence est là pour réfléchir aux deux questions : c’est une respiration entre la musique et la danse. A deux, c’est très énergisant, on entraîne le public dans l’expérience de la musique. Le rythme nous relie ; sur scène, on lance un rythme selon son envie pour pouvoir aboutir à une unité arithmétique, universelle. La tradition peut exister si elle est interprétée par des créateurs : il s’agit de faire œuvre avec des créateurs. Des rencontres comme la nôtre montre l’unité de la société humaine, l’unité cosmique, et l’art est au service de cette unité. En cela, l’art est spirituel et constitue une réponse à certaines questions.
Propos recueillis par Agnès Santi
Omkara II de Raghunath et Didier Lockwood, du 11 octobre au 31 décembre, du mardi au samedi à 19h, dimanche à 15h, au Théâtre de la Gaîté Montparnasse. Tél : 01 43 22 16 18